sacrifiée dans le marbre (ariella)

Un grand coup de tonnerre et l'éclat blanc qui s'en suit. Le visage d'un enfant qu'on aperçoit dans les bras tremblants d'une femme qui n'affiche pas de sourire, juste un affreux air songeur sur une peau grisée par l'effort et la fatigue. Il n'y a jamais eu d'amour, pas même lorsque les yeux de l'enfant tout juste né ont croisés ceux de sa mère. Rien. Une rage subite et des pleurs qui ce sont éloignés, un souvenir délavé dont Ariella a entendu parler seulement grâce aux on-dit qui courent dans les couloirs de cette baraque dont le bois craque sinistrement.

Papa. Papa est un grand homme, de ces hommes au sourire aimable, qui dégouline de bienveillance, dont le touché semble paternel pour chacun. Homme de foi, il appel au respect, un respect qui plane dans chaque regard de ses paroissiens. Des rats sans âmes qu'ils s'amusent à goinfrer de paroles pleines de bon sens et de sagesse. Une sagesse qui dégoûte l'enfant qui a toujours su, qui toujours vu les enfants qu'on lui vend sans le savoir, qui ressortent de l'église tremblants et absents, détruits. Ariella n'a jamais rien fait contre les désirs de son père, des désirs étranges malsains, interdits. Ariella qui tente de détourner les yeux sur ce dont elle est parfois complice sans savoir. Il y a eu une seule tentative de menaces, de tout révéler, le ton fielleux et les lèvres retroussées de rage. Elle se rappelle encore l'emprise sur son cou prêt à être brisé, les yeux vides de son père et sa main libre comme une menace planant sur son propre corps. Juste un objet entre les mains d'un Diable qui prêche pourtant un grand Seigneur. Alors elle a murée sa langue dans le silence, ravale sa haine à chaque dîners où leurs convives les couvrent de jolis mots, les peinturlurent de regards admiratifs. Et Ariella qui sait, depuis trop longtemps, que certains ont eux-mêmes des enfants brisés par les mains de celui qu'ils aiment tant. Dieu a toujours su s'amuser comme il le fallait.

Maman, Maman semble pleine de rigidité, le miroir au reflet noir dans lequel se perd parfois Ariella. Cette mère dont elle ne croise que rarement le regard, la haine qu'elle reçoit sans jamais comprendre, sans jamais savoir ce qu'elle a bien pu faire – et assurément oublié – pour s'attirer le dégoût de sa propre mère. Il ne règne qu'une rancœur muette entre elles, peu de mots échangés et aucuns gestes affectueux, sauf devant les autres, pour donner l'allure d'une famille réunie, qui ne se déchire pas entre elle quand le claquement de la porte se fait entendre. Et parfois Ariella s'imagine pousser son corps et le faire devenir juste un pantin rigidifié par la mort quand elle observe la peau scarifiée de ses bras, que le bout de son rouge à lèvres passe sur cette cicatrice qui gâche son visage, Ariella ne voit plus que ça pendant quelques jours. Trop consciente de vivre avec deux démons se faisant la guerre depuis des siècles, Ariella ne dit rien, se tait, ignore comme on lui a toujours apprit à le faire. La loi d'un silence complice.

C'est arrivé d'un seul coup, non ? Comme une balle en pleine tête, ça a tout fait exploser dans son esprit, un véritable chaos de chiffres et une vigilance constante. Ariella elle vie dans la peur de son propre corps, de ce qu'il signifiera ou ne signifiera plus si elle se laisse aller à ses envies. Elle imagine toujours ce monstre qui plane au dessus d'elle à chaque fois qu'elle fait face à un aliment, n'importe lequel, chaque chose ingurgitées est un risque de se laisser aller. Alors elle a enlevé le goût dans ce qu'elle mange Ariella, elle évite la tentation en s'enlevant le plaisir de manger, manque de vomir à la moindre odeur qui lui semble insupportable. Personne ne s'inquiète, sa mère scrute seulement ses gestes méthodiques de tri, par couleurs, les yeux rivés simplement sur l'assiette. Puis elle reprend sa discussion, d'un ton paisible, imperturbable. Ariella qui, au fond d'elle, espère parfois que sa mère voit qu'un boulon tourne mal en elle, qu'il y a forcément quelque chose qui s'est rouillé.

Et Ariella, elle fait tout ça pour la danse, pour être libre, légère, si légère qu'elle ne fera plus un seul bruit en retombant sur ses pointes, qu'elle fera rêver ls gens à donner l’impression de voler. Ariella elle s'est paumée ici, elle aspire à une grande vie, à la gloire qu'elle pourra pas s'offrir ici. Ariella elle rêve de mieux, parfois elle rêve de vivre avant de se souvenir que ce n'est pas pour elle. Alors elle fait juste semblant le reste du temps avant de se remettre à respirer quand elle fait bouger son corps avec toute la grâce et la douceur qu'elle n'offre pas aux autres. Poupée rigide qui se délie de sa porcelaine pour moins se briser à chacun de ses pas. Ariella qui rêve, en secret, sans jamais rien dire. C'est son péché, son espoir d'enfant et de jeune adulte. La seule chose qui lui appartienne vraiment qu'elle ne laissera à personne, un nerf à vif qu'elle tient du bout de son doigt pour ne jamais le lâcher, ne jamais l'abandonner, sinon … qu'est-ce qu'il lui restera ?

Juste l'image d'une statut de marbre, jamais l'esquisse d'une marque de bonheur au fond de ses prunelles ou au bout de ses lèvres, quelques mots calmes et pourtant cassants, une indifférence qui refroidit le cœur, un joli masque qu'elle porte trop bien Ariella. Elle est bouillonnante de colère dans le fond de ses entrailles, quelque chose ne tourne plus tout à fait rond. Ariella elle s'est enroulé de la soie de la pureté et emprisonnée dans une glace si dur à briser que même sa première bavure n'a pas su la libérer de son carcan frigide. Ariella qui a du mal avec le touché, avec les lèvres qui s'assassinent, pourtant … c'est arrivé rien qu'une fois, rien que la fois où elle a voulu se laisser aller à écouter son corps. Plus jamais, plus rien qu'elle ne laissera venir comme une impulsion. Le contrôle, toujours cet affreux contrôle qui se calque sur chacun de ses pas, de ses paroles. Une éducation faite sur un long fil et où elle tente de marcher, funambule de l'horreur, sans regarder le vide infernal qui s'ouvre sous ses pieds à chaque heure qui s'écroulent.

Le couperet est tombé et a emporté l'oxygène avec lui. Elle a cru devenir aveugle puis sourde avant d'être muette. Muette de douleur, parce que c'est comme un drame qui lui vrille le ventre à présent, qu'elle a l'allure d'une femme moins fragile, que son corps se déforme comme pour se transformer en une sorte de créature qu'elle n'a jamais voulu devenir. Ariella qui méprise les enfants, les considèrent comme inexistant. Elle se fiche de tout ça, elle se fiche de l'amour qu'une mère doit porter à son enfant. Ariella n'est pas faite d'amour, elle est faite de passion, une passion noire et cauchemardesque pour la danse et n'aspire qu'à ça. Ariella qui ne respire et ne vacille pas simplement pour ce rêve un peu utopique. Et ce fardeau qui lui arrache les tripes gâche tout, gâche trop sans savoir. C'est avec la haine au fond de la gorge qu'elle le cherche Ariella, prête à lui refiler cette chose qu'elle refuse d'appeler enfant, voit son corps comme une chose qu'elle contemple de l’extérieur, refusant qu'il lui appartienne vraiment.