with her eyes like a flame (salome)

Si fière quand elle pénètre dans le hangar, un calepin contre le coeur, là où elle aurait dû tenir un flingue. Sa silhouette se reflète dans les mares d’huile noire alors qu’elle n’est qu’ombre, contre les murs sales. Féline, elle s’aventure plus loin, plus profond, sous les néons vibrants et dans la puanteur du méfait. Là-bas les voix s’affolent. On se dispute. Le froissement des billets est perceptible, ça la fait frissonner. Derrière le pilier en béton, trois gars, et pas des plus bons. Elle n’a plus l’âge de donner la main à son père et puis, ça fait bien longtemps qu’il est parti. Mais pourtant, fille à Papa, elle jette un oeil à la Lotus qu’il lui a léguée. Tic tac. Les dollars bruissent. Tic tac. Dans son dos, on se glisse.
Pour elle, le tir est silencieux. Le monde s’arrête sur l’index plié d’une enflure armée. La balle, morte, résolue, poursuit sa course folle vers la chair tendre d’une journaliste crédule. C’est presque intime, lorsqu’elle mord la peau et s’écrase plus loin, dans l’ovaire. Le trépas d’une femme.
Salome tombe.

Papa portait des robes lorsqu’il allait travailler. Des longs manteaux noirs à l’aspect aviaire. Ce n’était pas effrayant, c’était même plutôt rassurant de le voir ainsi s’accoutrer pour aller sauver les innocents. Il se saisissait de son attaché-case ébène, déposait un baiser sur son front rosé. Et puis, solennellement, il regardait la montre, sur son poignet velu. “La justice n’attends pas !” La porte se refermait sur sa silhouette de corbeau. Papa l’avocat. Papa le héros.

Where’s the gurney? She’s got a pulse - Roy, give me all the compresses you got! Where’s my fucking gurney?
Des aiguilles dans son corps, des cris dans ses oreilles. Elle ouvre un oeil sur les néons qui vacillent encore. Papa ? Un homme. Elle serre une main dans la sienne, le latex des gants est froid contre ses doigts. Dans son délire, une pensée. Est-ce qu’ils pourraient lui donner son calepin et un stylo, avant qu’elle n’oublie ? Le brancard arrive enfin, Salome replonge.

Il y avait toujours une nana au pair pour lui raconter des histoires quand Papa travaillait et que l’école était terminée. Mais quand il rentrait, la fille s’en allait et les laissait tous les deux. Les soirées chez Papa valaient mille soirées chez Maman. Souvent, il revenait avec une pizza sous le bras et mettait quelque chose en noir et blanc à la télé. C’était plus facile, il disait, quand on est daltonien.

La chambre d’hôpital est blanche de cette lumière artificielle trop épurée pour réchauffer. Quelque chose fait du bruit à côté. Le rêve est fini, Papa est parti. Il faut plusieurs infirmières pour lui expliquer la situation. On a retiré la balle. On a sauvé les meubles. Enlevé un ovaire mais la vie est si bien faite qu’elle en donne deux aux mères. C’est la police qui l’a trouvée. On attend sa déposition. On cherche le coupable. Et des questions qui s’enchaînent, lui font mal à la tête.
Elle se rattache aux taches rousses sur les mains de son médecin. Quand il vient l’ausculter elle fixe ses doigts occupés et respire profondément pour lui faire plaisir. Il lui laisse quelques jours avant de lui parler. Quelques semaines avant de lui demander de le regarder. Et puis toute une année pour l’épouser.

Comme si avoir été sauvée l’avait à jamais endettée, Salome se brise dans les bras de l’homme qu’elle a un jour aimé. Vampire, inconscient, peut-être, il l’a vidée de ses rêves et de sa fougue, lui brisant les jambes pour l’empêcher de s’enfuir. Isolée dans un monde nouveau qui lui a un jour semblé beau, elle oublie le reste, son âme, sa haine. C’est confortable, d’être normale, après avoir frôlé la mort. Elle se laisse aller dans des draps satinés et des dîners barbants. Elle n’est plus Salome, elle est la femme de Roman et, le temps d’un instant, elle croit être heureuse.
Et c’est quand elle apprend qu’il se fout d’elle depuis bien longtemps qu’elle explose, se rebelle, rayonne. Lionne acharnée, elle saccage les bouts de leur vie dans la maison. Lui crache à la gueule quand il faut lui laisser les papiers à signer.
Elle s’en va, souillée.
Mais réveillée.