the desired effect (ronnie)

C'était la première enseigne qui avait croisé sa route, alors que Reeva garait le joujou à plusieurs zéros qu'elle avait dérobé à sa moitié. Au sud, là où elle n'avait strictement pas sa place. Mais plus les choses lui étaient interdites, plus l'érotique poupée s'y étalait - et elle en était persuadée, le sud serait bientôt à eux, aussi. Une trace indélébile qui la suivrait jusqu'à sa mort, voilà ce qui animait ses pensées futiles depuis plusieurs jours. Perchée sur ses escarpins, elle puait l'argent facile et la luxure, avec son rouge à lèvre reluisant et son air de pouf éméchée - et peu importait que l'endroit ne soit pas à sa hauteur ; rien ne l'était de toute façon. Elle repoussa violemment la porte pour tomber sur un espace vide d'âme humaine. L'enfant terrible fronça les sourcils, puis estima les lieux avec un dédain évident. Reeva écrasa sa clope entamée sur le plateau censé être stérile et commença son manège désarticulé - elle retira son top, son soutien gorge, qu'elle balança avec vulgarité dans un coin de la petite piaule, et pris place sur le fauteuil avec une décontraction palpable. Elle ressemblait à une prostituée attendant son prochain client.

« Chaton, je veux l'abeille, juste là. » qu'elle cracha à l'homme qui apparut soudainement. Un illustre inconnu à l'air de racaille déshérité - un portrait particulièrement réaliste en ces bas quartiers. Mais rien ne lui importait - ni son manque évident d'argent, ni son air de gigolo qu'elle avait bien envie de soumettre à l'une de ses idées. Reeva afficha un sourire presque glaçant, de celui qui n'envisageait rien de bon. Elle était fébrile, pressée par son envie évidente de marquer son épiderme. Mais l'abeille était plus pour elle qu'une simple appartenance, c'était un tout, l'emblème d'une famille, sa famille, qu'elle adulait à vouloir en crever. Elle ne jurait que par les Capulet et leur opulence, par cette facilité emblématique qu'ils avaient à tout obtenir aussi simplement, par l'argent qui coulait à flot dans leur univers utopique ; la famille rêvée, celle qu'elle avait choisi en toute connaissance de cause.

« T'en veux combien ? » Reeva se pencha sur la gauche, saisit son sac dans lequel elle farfouilla avec vigueur pour en sortir une liasse de billet qu'elle glissa entre ses doigts fins. Un, deux, trois, quatre.. Le compte était déjà bien élevé mais elle croisa une nouvelle fois le regard luisant de son interlocuteur et relâcha le tas complet - une bonne trentaine de billet - sur le plateau à disposition. L'excitation qu'elle ressentait en dilapidant de l'argent était si salvatrice qu'elle ne pouvait plus s'en empêcher ; elle en devenait folle. « Un bonus pour ta belle gueule, chaton. » siffla-t-elle torridement, à moitié nue et disposée.

Le bourdonnement incessant de l’aiguille résonne dans toute la piaule - et penché sur cette parcelle de peau, Ronnie, l’imaginaire exalté, en banderait presque. Sous ses pupilles dilatées par une herbe d’excellente confection (sa création, inutile de le nier) le môme laisse parler l’encre. Les nuances pénètrent l’épiderme, les teintes sombres se mêlent aux gouttelettes de sang écarlate. C’est un putain de ballet qui se dessine sous ses yeux. Un ballet que lui seul semble visiblement apprécier. Allongé sur l’assise en cuir, l’adolescent serre les dents à chaque fois que l’aiguille entre en contact avec son bras. « hey kid, tu veux faire une pause ? » Réponse négative de son jeune client. Alors Gray enchaîne, outrepassant ses gémissements et ses insupportables supplications. De longues minutes plus tard, la peau meurtrie laisse enfin transparaître une fresque équilibrée – partitions imprimées - à l’image d’une divine mélodie. Le gosse est enchanté car, malgré la douleur, un sourire satisfait prône sur sa bouche tuméfiée. « c’est canon ! » « j’veux que c’est canon. » Réponse du tac-au-tac et parce que c’est la seule chose pour laquelle Ronnie est certain. Son talent ne se discute pas, il est le meilleur de Night Vale. Une nouvelle clope se pince entre ses lèvres alors qu’il encaisse les trois-cent dollars du môme. Journée fructueuse mais pauvre en informations. Car après tout, c’est bien pour ça qu’il crèche dans cette ville faite de sable et de sang. Les infos, les gangs, les business souterrains, l’argent sale et la corruption … Quatre mois dans ce merdier et pas une seule piste. L’engrenage est parfaitement huilé, par une main de maître qui plus est. Paco ne fait pas le poids. Ronnie encore moins.

Soupir sonore lorsque la sonnette nasillarde percute les murs aseptisés. Des escarpins fouettent le sol puis … le silence. « J’allais fermer. » Débarrassé de ses gants de plastique, Gray stoppe toute interaction lorsque les effluves d’un parfum féminin s’hasardent à chatouiller ses membres anémiés. Il fait volte-face, connement attiré par la scandaleuse apparition qui se projette dans l’encadrement de sa porte. La créature est divine. Poitrine découverte, franchement offerte à ses rétines carnassières. Il remarque la lingerie, vulgairement jetée au sol, puis le rouge couture qui orne sa bouche pulpeuse. Elle a des airs de salope, c’est indéniable – mais rien d’une pute. Ses mots sifflent et aiguisent son intérêt lorsqu’elle fait référence à l’abeille. Bordel, c’est du pain béni. L’abeille … Royal idéogramme des Capulets. Le reste de défonce s’évapore instantanément de son esprit et d’un pas franc, il s’approche du fauteuil pour dominer la nymphe de toute sa hauteur. Elle veut être marquée, tatouée. Pas étonnant pour une blondasse qui se la joue chienne. « je préfère te prévenir. c’est pas une partie de plaisir. la peau est fine à cet endroit. » Il tente de la ménager en sachant pertinemment qu’elle ne changera pas d’avis. Elle a l’air ravagée la lionne. Ravagée, allumée … Avec cette incandescente lueur dans le regard. Ses doigts manucurés balancent les biffetons sur le plateau en alu’ – il y a en a trop, beaucoup trop. Elle se la joue chaudasse avec ses flatteries, mais Gray, il a le poil qui se hérisse lorsqu’elle le surnomme, à nouveau, 'chaton'. « easy blondie, j’ai pas besoin de tout cet oseille. garde-le pour un de tes gigolos. tu veux bien ? » Sérieusement, pour qui ose-t-elle le prendre ? Ronnie reluque sa poitrine, partiellement dissimulée par d’immenses mèches blondes. « tu ferais mieux d’attacher tes cheveux. ensuite, tu pourras t’allonger. » L’insolent grogne. Il remonte prestement les manches de sa chemise et prend place face à la sirène. « l’abeille ... pour les capulets, c’est ça ? »

« Alors estime moi maso, et estime toi sado. » La douleur, une douce sensation qui envahissait ses tripes bien trop souvent. Mais Reeva, elle aimait la douleur, elles étaient devenues amis au fil du temps, à tel point qu'elle finissait par la chercher elle-même, telle une louve abandonnée, lorsque celle-ci ne venait pas à elle. Elle la provoquait, l'anoblissait, la dépassait pour mieux l’apprécier. Une perception salvatrice qui faisait d'elle une douce et enivrante folle. Sourire béat au coin des lèvres, voilà une lionne déjà comblée par cette idée de supplice, alors que son regard inquisiteur scrute avec attention son interlocuteur. « Ooh, chaton.. » qu'elle finit par baragouiner, presque attendrie devant son impudeur. L'argent, il n'y avait que ça, l'odeur enivrante d'une liasse de billets froissées par la guerre d'une ville. A sa place, elle aurait bondi telle une lionne pour saisir l'appât avec voracité. Mais le pourquoi du comment ne l'intéresse pas, Reeva, elle se fiche des aléas tempétueux qui résonnent en lui et questionne simplement son jugement. Ravagée par son instinct, elle n'abdique pourtant pas devant sa quémande et estime même qu'il fait la fine bouche. D'un revers abusé de la main, la blonde repousse un peu plus le tas de billet sur le plateau ; car le dernier mot, il ne l'aura pas, pas avec elle. Elle emmerde les gigolos ; sur le chemin de la vie, l'homme a toujours été plus faible que la femme, aussi ne conçoit-elle pas la remarque, qu'elle récupère au passage, pour se redresser vainement sur son siège, toisant d'un peu plus près le sudiste. « Puisque tu inistes. » Un lien ne s'était pas fait en elle, quelque chose clochait, comme une soyeuse abheration qui s'esquissa promptement sur ses traits de poupée. Un éclair dans son oeillade, et elle saisit de ses doigts une clope en train de se consumer. Celle-ci finit sa course dans le tas de billets rejetés, qui commença aussitôt à fumer. Quelle importance.. Rien n'en avait. Elle-même se consumait devant la futilité de la situation qui pourtant l'amusait grandement.. l'espace d'un quart de seconde, rien de plus. Et l'amusement s'estompa tout aussi rapidement que le sourire goguenard qui embaumait ses lèvres. Elle finit par lever les yeux au ciel, peu désireuse de courber l'échine devant l'individu. Alors Reeva repoussa simplement sa chevelure d'un côté, l'air désabusé, et s'enfonça dans le fauteuil. « A ton avis ? » Le ton est lancé, insolent, à même de caractériser le si prestigieux gang de abeilles. Et quelle abeille, piquante, clinquante, aussi liquoreuse que le miel qu'elle parsemait dans la duveteuse ruche qu'était Night Vale. Un merdier pas possible dans lequel elle fichait un coup de pied à tout va. Elle n'était peut-être pas la reine des abeilles, mais méritait amplement son titre de soldat prêt à tout. Aussi voyait-elle ce marquage comme le blason reluisant de son appartenance, une fierté pour elle et pour sa famille. « Aimes-tu les abeilles, chaton ? » Chaton, toujours ce chaton, amené avec mélodie, perdu dans une conversation qui ne valait rien de bon. Tout le monde, devait aimer les abeilles, lui le premier.