soulmates aren't just lovers (sunny)

Sans doute le rail de trop. La tête prête à l’exploser, la colère qui ne la quitte. Ce soir c’est pas des étoiles qu’elle voit Lex, c’est des explosions. Une soirée à se défoncer juste pour se changer les idées. Pour oublier les remontrances à répétitions. Pour oublier les discours de sa tante, Emilia, mais aussi ceux influencés par Axiane. Les deux inséparables qui essaient de contrôler sa vie. Lui dire quoi faire, comment le faire. Qui fréquenter ou non.  Evidemment qu’Emilia n’a aucun problème à ce qu’elle voit Fidelio, au contraire. Ce qu’elle voudrait, c’est qu’elle le fasse plus discrètement. Que leurs écarts ne soient pas rendus publics, que leurs ébats soient plus discrets et pas au milieu de l’après midi dans la piscine familiale. Seulement si c’était que le discours habituel sur ses fréquentations, Lex aurait pu encaisser. Elle aurait fait semblant d’écouter et elle se serait barrée. Mais non. Il a fallu que tout y passe. Son manque d’implication dans le business. Son éternel manque d’ambition pour réellement rejoindre la Capulet Pharma. Toujours les mêmes conneries. Alors Lex, elle est sortie. Elle a laissé sa tante en plan. Elle aurait pu aller chez Fid, s’envoyer en l’air. Recommencer, plusieurs fois. Mais aussi étonnant que ça puisse paraitre, la môme n’avait pas la tête à ça. Parce que depuis quelques temps, au leu de lui éclaircir les idées, le Capulet ne fait que l’embrouiller un peu plus. La rendre un peu plus dingue, à sa manière. Ce soir, c’était juste de la défonce pour tout oublier. Quelques potes habituels, de soirée, de conneries. Des inconnus aussi. Les camés du coin. Les fêtards. Ou juste les crevards un peu trop affamés qui se pensent chanceux de tomber sur une jolie blonde défoncée. Seulement Lex, ça fait un moment qu’elle a arrêté de regarder autour d’elle. Pas assez blond. Pas assez irritant. Pas assez enivrant. Pas assez… lui.
La gosse qui sort du bar. Trop miteux, pas de son rang social. Peu importe. Lex a toujours eu pour habitude de se diversifier. Elle entend encore les éclats de rire, les phrases sans grand sens de personnes trop alcoolisées, et elle continue sa route, la démarche pas franchement assurée, l’esprit dans une autre galaxie. Elle se fait siffler au milieu des rues désertes, et elle soupire. Manquerait plus que ça. Alors nerveusement, elle joue avec son briquet. Ce briquer qui la rassure, et avec lequel elle a toujours été prête à tout faire cramer. Le retour des lampadaires miteux, qui donnent sans doute un air encore plus glauque à cette rue que celles plongées dans la pénombre. Mais c’est sous l’un de ses lampadaires qu’elle l’a perçoit. Son rayon de soleil. Sa Sunny. Elle se pince l’arrête du nez, pas certaine de ce qu’elle voit. Peut-être juste une putain d’hallucination de celle qu’elle veut retrouver. De cette pureté personnalisée qui la fait fondre plus que n’importe qui. Bordel qu’elle rêve de ses bras. De cette étreinte apaisante. Sa candeur contagieuse. Mais Lex, elle est pas certaine de vouloir que sa colère se propage comme un vein dans sa poupée. Sa blonde, son bébé. Trop pure pour cette ville. Pour ce monde. Elle s’arrête un instant, au milieu de la rue, en se moquant bien qu’une voiture puisse débouler. « Sunny ? » une voix qui trahit le mélange explosif enfilé ce soir. Pourtant, cette voix, elle a l’espoir de ne pas apercevoir qu’un mirage.

Le joug du travail nocturne n'emprisonne pas tes hanches, ce soir. Ta poitrine est vierge des traces de crocs, ton épiderme fleurit pour les heures à venir, dans sa liberté provisoire. Tu restes un peu idiote, un peu frêle, un peu riante, déconcertée, alertée, fatiguée. Tu aperçois tes démons dansant au coin de tes paupières, leurs queues entourant la fragilité de ta nuque et la chaleur de ton front. Tu sais quel tango ils voudront te faire danser, ce soir, si tu succombes au sommeil-cauchemar, au repos blasphématoire. Tu sais l'angoisse, tu sais les pleurs, tu sais les prières et les malédictions qui, pour une fois, ne serviront à rien. Tu sais la lutte, tu sais les cris, tu sais la frustration et l'ennui. Alors, tu préfères repousser la banalité humaine d'une rencontre lunaire. Tu préfères oublier la possibilité d'un fonctionnement normal, d'habitudes confortables. Tu restes enfermée dans les tréfonds de ta tanière, dans ta caravane de rouille et de poussière, tissant de tes doigts de sorcière moderne les sortilèges doux-amères, amour-haine, poison-guérison que tes clients anonymes t'ont demandé en secret. Tu te perds dans tes incantations, dans tes poudres de bohémienne, tes pierres philosophales, tes herbes mortelles, tes pommades vitales. Tu te demandes quel genre de substance il te faudrait prendre pour plonger dans un sommeil éternel, ni troublé par tes rêves, ni troublé par ta peur, tes souvenirs, ta tristesse et tes angoisses. Mais il ne faut pas penser à ça, Sunny ; il faut penser au bonheur et à la vie.

Il faut penser à la fête qui anime les rues noires de Babylone ; il faut penser à la chaleur des corps, à la beauté de la musique et à la grandeur de ta liberté. Il faut penser, ou peut-être juste se laisser guider par les senteurs humaines, par les fragrances sauvages de la jeunesse exaltée qui t'accompagne. Tu ressembles à une sauvageonne avec tes mains encore colorées de tes potions magiques, ta robe plus blanche que l'astre qui vous surveille et ta crinière blonde cascadant sur tes côtes. Les hommes voyants reconnaissent ton visage de poupée de stupre, sourient et se détournent pour ne pas laisser leurs souvenirs affluer à la surface de leur réalité publique. Toi, tu souries quand tu les reconnais. Un sourire apaisé, un sourire naïf, un sourire triste se dessinent sur tes lèvres ; tu aurais aimé que vos nuits d'amour ne ressemblent pas à un honteux secret. Mais il fait chaud, il fait beau et tu te fonds dans la chaleur de cette soirée. T'es comme un extra-terrestre, une étrangère, une inconnue dans cette foule de jeunes gens branchés. T'es comme une abandonnée qui vient d'apercevoir, au loin, la lueur de sa bouée. « Lexy » tu murmures, illuminée par l'apparition merveilleuse de la jeune femme. Tout prends du sens, quand Lexy est là. Soudain, le décor paraît plus familier, plus doux encore que quelques secondes auparavant. Tes mains viennent caresser la pâleur de ses joues, brûlées par la chaleur de sa soirée. « Tu as du tonnerre dans la voix » tu remarques, un peu inquiète par l'aigreur de son prénom dans la bouche de son âme-soeur. « Tu as mal à l'âme ? » tu demandes.

Les excès de la soirée qui tambourinent dans sa tête. L’alcool qui fait tout tourner autour d’elle, qui la rend moins stable. L’alcool qui lui arrache sa bonne humeur habituelle. Mauvais trip. La coke qui s’est mélangée à son sang. Poudre blanche dans l’organisme qui trouble les frontières du réel. Elle le sait, encore une fois, elle aurait dû se raisonner. La colère qui  la fait suivre ses pulsions à la con. L’envie de tout bruler, tout détruire. Cette ville et tout ce que va avec. Crier sa haine pour le monde entier. Ou quelque chose comme ça. Pas vraiment. Juste une môme paumée et trop brisée pour un âge aussi peu avancé. La môme a quitté le bar sans franchement savoir où aller. Juste errer sous les lampadaires mourants du désert. Peu importe où ses jambes veulent bien la conduire. Qui sait, peut-être qu’inconsciemment, c’est encore le chemin de chez son Capulet qu’elle prendra. Peut-êtrz que ce soir encore, c’est dans ses draps qu’elle finira. Y’a de fortes chances. Le jeu se joue plus régulièrement, plus intensément. Trop pour que ça soit sans risque. Mais la silhouette blonde qu’elle aperçoit, c’est loin d’être celle qu’elle avait en tête. D’un blond platine, presque blond, des courbes féminines et non taillées au couteau comme celles qui hantent ses pensées. Elle hallucine sans doute. Peut-être pas. La silhouette se dessine un peu plus. Plus réelle. A portée de main. Son oasis au milieu de cet aridité. Cette fille rencontrée au hasard mais qu’elle ne laissera plus jamais repartir. Son rayon de soleil. Elle rayonne bien trop au milieu de cette rue. Un putain de diamant brut au milieu de la crasse du désert. Mais Lex s’approche, elle a besoin de l’avoir dans ses bras, de l’avoir contre elle.

« Lexy » une voix douce, qu’elle connait par cœur, comme un baume pour le cœur. Les mains de l’ange contre ses joues et Lex ferme les yeux, quelques instants, quelques secondes. Une minute à peine. « Tu as du tonnerre dans la voix » Elle acquiesce d’un signe de tête. Mais ça sera jamais contre Sunny. Elle, elle passe son temps à l’apaiser, à chasser les nuages et fait cesser le tonnerre. « J’ai abusé. » qu’elle lache dans un murmure. Lex approche son visage, vient caler sa joue contre celle de la môme. Du bout du nez, elle caresse sa peau laiteuse. Doucement. Tendrement. Sa Sunny. Ca va déjà un peu mieux. « Tu as mal à l'âme ? » « Toujours. » elle laisse sa tête reposer dans le creux de son cou, s’imprègne de cette odeur qui lui manque à chaque fois. Cette odeur familière qui la fait se sentir bien. « Je suis fatiguée, Sun’. » Fatiguée de se battre pour se faire entendre, de tenir tête à tout le monde. Fatiguée de la douleur constante. Fatigué de porter cette carapace de plus en plus lourde. Fatiguée de ne pas dormir comme elle le voudrait, parce qu’à chaque fois que les paupières se ferment, c’est le même cauchemar. La même petite fille dévastée qui hurle. Lex, elle est paumée. Dans ce qu’elle doit faire, ce qu’elle veut. Se dévoiler ou rester cacher. Fidelio ou pas Fidelio. Son cœur a choisi avant elle, et l’a fait flipper. Elle aurait pas dû se l’autoriser. Elle relève un peu la tête sans pour autant se reculer. « Qu’est ce que tu fais là, toute seule ? » Toujours inquiète pour son ange, cette fille trop pure et trop innocente pour ce monde. Plus encore pour Night Vale. Sunny, elle contraste trop ici. Trop belle, trop douce, trop naïve. Trop tout pour une ville aussi poussiéreuse destinée à s’autodétruire.