naïa -noyade des naïades-

la nymphe.
Les naïades, filles de Zeus. Tu as vu le tableau de Waterhouse? Splendide. Elle, elle exagère tout, elle évoque tout les mythes, tout les poèmes, toutes les danses qui vouent un culte à ces nymphes aquatiques. Son choix est fait, elle ne fait que persuader son époux de faire le même. Alors, en l'assénant de références d'art et de beauté, il finit par accepter que leur petite fille devienne une Naïa. Nymphette des temps modernes, fille d'un dieu auquel on ne croit plus, aux bras et jambes nus, à qui l'on sacrifiera toutes les bêtes pour qu'elle ne tienne dans ses mains qu'un coquillage. Un simple, modeste, minuscule, ridicule, blanchâtre, coquillage. Peut-être ne sont-ce que ces quatre lettres qui firent d'elle cette créature idolâtrée, d'une simple nature, mais à qui l'on offre les plus pures pierres. Elle ne demande rien de par les mots, c'est son regard qui implore le sacrifice.

la rivière.
On lui caresse sa petite tête blonde, elle n'est pas capricieuse, mais elle ne sourit que rarement. Sa générosité se transmet ailleurs, mais ce n'est pas une peste; qu'on dit. Et puis, papa et maman sont très fiers d'elle. Vraiment. Ils lui apprennent à lire, écrire et compter, elle va dans des écoles privées, mais celles qui prônent une certaine diversité. Parce qu'ils veulent faire d'elle une femme instruite, indépendante, honnête, calme, responsable, et humaine. Elle apprend à aimer son prochain, sans religion et sans foi, mais d'un amour sincère que ses parents lui ont transmis. Petite fille qui a les meilleures notes, mais qui ne s'en vante pas, qui en profite pour aider les plus en retard. Oui, c'est une fille bien.

la muse.
Puis, les rencontres se font. Ce n'est pas l'idole des jeunes, pas toujours, mais on n'en pense que du bien. Mais dans tous ces gens qu'elle connaît de près ou de loin, Fidelio. Le Capulet qui a droit à tout, qui sait se faire plaisir et faire plaisir aux autres, qui offre les plus prestigieux cadeaux, quand elle, elle ne fait que lui donner son amitié, sincère, et les bénéfices d'une relation plus charnelle. Leur relation n'évolue cependant pas, ce ne sont que des confessions à l'oreiller, des papouilles dans ses boucles blondes, des nuits de souffle court, et le regard toujours complice. Jusqu'à; Esmée. Esmée, la merveilleuse, magnifique, envoûtante, celle qui fait de leur duo un putain de trio dans lequel Naïa n'est que dans l'ombre du décor. Esmée et Fidelio, ça prend tout l'espace, tout le temps, tout l'amour, et même si ça la tuerait que de l'avouer, ça pique sa poitrine que de se savoir délaissée par le Capulet. Il ne lui balance plus grand chose que des colliers en or. Et pourtant, elle les met, et elle reste dans une chambre voisine où elle entend leurs cris d'amour, et où elle est seule. Seule, à les entendre s'adorer.

la cascade.
Ses parents sont partis vivre sous le soleil européen, lui léguant la maison dans laquelle elle a toujours grandi. Liberté et indépendance, comme on le lui avait promis déjà enfant. Mais toujours cette Esmée qui tracasse son esprit. Elle y songe à se barrer à son tour, rejoindre sa famille en France, et oublier avec rancoeur Fidelio qui lui l'a déjà oublié. Mais, ça ferait trop mal, alors elle reste muette et sourde quant à leur couple florissant de bonheur. Jusqu'à la terreur, la panique dans ses yeux, ou plutôt la désolation, l'abdomen du Capulet tranché sous l'épée de Damoclès. Esmée, cette pétasse. Elle l'a trahi, l'a laissé presque pour mort sur les trottoirs. Naïa enrage, mais pas devant Fidelio, non. Quand il est là, elle le calme à coup de regards, de complicité malsaine, et ce, même quand Fidelio exige vengeance, et le suicide forcé d'Esmée. Elle crève, au moins. Et même si ses parents seraient très déçus de l'entendre le dire; elle l'a dit: elle le méritait, cette salope.

le mythe.
Mythe effondré sous cette moue faussement boudeuse, ou renforcé par ses courbes fines et délicates? Naïa, naïade, ou Naïa, perdue. Avec ou sans divinité, avec ou sans poésie, avec ou sans vulgarité, Naïa. Un brin de Naïa dans le parfum qu'elle laisse, sa couleur de rouge à lèvres, une infinité de Naïa quand elle quitte ses draps. Peut-être un peu de Naïa partout dans les rues sales ou les vastes opéras.

Naïa par ci, par là, le mieux c'est quand il ne l'appelle Naïa que par ses yeux malicieux. Pas de regrets. Jeunesse qui abuse, qui se ment, qui saigne, qui en bave, et qui s'aime à coups de marteau. Papa & maman, ne vous inquiétez pas et laissez les vagues de Poséidon vous enchanter. Esmée, brûle dans le Tartare. Fidelio, ne meurs pas, je ne te pardonnerais pas. Naïa, qui suis-je dans le reflet de Narcisse? Mythe trop vrai, coquillage dans lequel s'est creusé son petit coeur sombre.

Naïa se noira.