Ca tambourine dans son corps l’espace de quelques secondes, son regard se perd au loin, croise celui de son père avant que sa tête ne heurte le sol. Elle se détestait déjà de n’avoir rien vu venir, elle qui avait pourtant tendance à tout anticiper. Dans son regard la lueur s’était allumée, celle qui annonce qu’il va la frapper. Elle avait fini par comprend qu’il aimait ça, faire mal. Alors instinctivement sa main avait empoignée sa lame coincée dans son dos tandis qu’il lui hurlait dessus. Le piège se refermait sur elle. La toile qu’elle avait tissée depuis des années s’enroulait autour d’elle. Il avait compris, elle avait baissé sa garde. Pensant qu’après dix ans elle n’avait plus à s’inquiéter de sa couverture. L’une après l’autre, deux déflagrations qui avaient fendues l’air raisonnaient encore à ses oreilles. L’incompréhension la gagnait, elle n’avait pas anticipé parce que ce n’était pas son père ça. C’est trop facile pour lui de sortir son flingue. Ce qu’il aime c’est frapper de ses propres mains. Prendre son temps et savourer. Elle comprenait qu’il avait agi sans réfléchir. Il lui était tombé dessus, animé par la seule pulsion d’une vengeance. Envahit par la colère et l’horrible sensation d’être trahit par celle qu’il avait pourtant si bien éduquée. Ely sentait son énergie la quitter en même temps que le vermeil glissait hors de son corps. L’homme s’approche, sa bottine claque contre sa tempe en un geste de domination avant de la laisser là sur le sol. Qu’est-ce qu’elle était censée faire ? Le noir complet s’imposait à elle, incapable de réfléchir correctement, la pensée de se laisser aller lui traversa l’esprit. La facilité. D’en finir et d’oublier cette vie qu’elle déteste. Cette guerre qu’elle mène constamment contre elle-même, se demandant si ça vaut vraiment la peine dans le fond de continuer cette vie. Un instant elle se demande pourquoi elle devrait se battre et il s’impose à elle. Cette silhouette qui s’éloigne doucement d’elle. Doux fantôme, celui qui hante ses rêves de ces souvenirs d’enfances. De ces souvenirs d’une Ely qu’elle ne semble plus être, qu’elle aimerait retrouver. A quel point son père avait-il compris au juste ? A quel point est-elle comprise ?
Des gestes saccadés et douloureux. Elle avance péniblement les quelques ruelles qui séparent la maison de son père à la Verona. L’eau dévale. Le ruissèlement apaise déjà son esprit, lui insufflant doucement ces innombrables souvenirs de son ancienne vie. Dans son ancienne elle. Ces souvenirs qui l’ont poussée à venir ici, prendre refuge auprès du seul repère de son ancienne vie en qui elle pense pouvoir avoir confiance. Elle ne sait pas bien ce qu’elle attend de lui, peut-être que l’appel du médecin qui l’amène à traverser la rivière. Peut-être que c’est l’appel du cœur. De le revoir une dernière fois avant de se laisser sombrer. Son esprit divague, il se perd dans un tourbillon de souvenir. Elle se revoit patauger dans les eaux troubles avec ses amis interdits dans un état second. De ceux où l’on rêve éveillé. La vision trouble, les pas hésitants, la dégaine fragile. Les doigts trempés peinent à trouver l’énergie nécessaire pour poursuivre sa route et compresser les deux blessures d’où s’échappe sans discontinuer le peu d’énergie qu’il lui reste. La maison se dresse enfin devant elle, imposante et rassurante qu’elle pourrait défaillir sur le champ. Péniblement, Ely rassemble ses dernières force pour mettre un pied devant l’autre, semant les goutes jusque sous le perron. Machinalement elle regarde autour d’elle, tente de s’assurer que personne ne la voit du peu que sa vision lui permet d’apercevoir. A la hâte elle tape fébrilement à la porte. Prie un dieu en qui elle ne croit pas pour qu’il soit là, qu’il lui ouvre la porte au plus vite, qu’elle puisse revoir ce visage rassurant. Bien plus épuisante qu’elle n’avait pensée, cette escapade jusque chez Roman l’a poussée dans ses retranchements. Appuyée contre le battant de la porte, emprise à des sueurs froides, la blonde lève les yeux vers l’homme qui lui ouvre enfin la porte. Un mince sourire étire à peine visiblement ses lippes, elle est heureuse de le voir. « Roman .. » Un murmure difficilement audible, un ultime effort. Le regard se fait supplicateur, perdu, inquiet. Elle montre ses mains tremblantes et dégoulinantes au grand brun. Comme si elle venait de se rendre compte à l’instant qu’elle était surement en train de mourir. Ses jambes frêles lâchent après tant d’effort et la blonde s’écroule dans ses bras, s’enivrant de cette odeur bien trop rassurante, luttant pour ne pas s’endormir tout contre la seule chaleur humaine sincère qu’elle n’est jamais connue. Subitement elle redevenait la gamine de dix-sept ans, perdue dans un monde qu’elle ne comprend pas.