christian. nuit de néons

Vie. On n’avaient de cesse de te dire que la vie devait être vécue à cent pourcent. Qu’il ne fallait jamais la gâcher, toujours avancer. « Mon chéri, il faut toujours prendre ce qui arrive.» Et, t’avais sûrement écouté cet adage. Pour pouvoir te marier. Oui. Vie. Mais, tu t’étais peut-être pas attendu à ce que celle-ci te donne la pire baffe que tu n’aies jamais connue. Gifle violente. Chienne de vie.

Doucement. Tu vois défiler autour de toi les étendues trop grises du désert. Vision monochrome au milieu de la nuit, y a la musique qui raisonne doucement dans l’habitacle alors que ton camion te guide ici et là au travers le pays. Un chargement dans son fond, t’amènes la bouffe, l’alcool, l’essence et bien encore des choses d’un point à l’autre. Argent coulant difficilement dans tes poches. Mais, t’aimais ça. Voir le monde, voir la vie d’ici et d’ailleurs. Une clope dans le bec, la fenêtre ouverte. Personne pour te dire quelque chose, pas de « Chéri arrête de fumer ! » « Va dehors avec ton poison ! » Oh, pas que tu ne l’aimes pas. Celle qui t’avait enchaîné à son doigt. Bien sûr que si. Mais, parfois, y avait ces doutes. Parfois y avait ces questions qui se posaient. À savoir. Et si… Et si j’avais fait autrement ? Si je ne l’avais pas épousée ? Si j’avais fait autre chose dans la vie ? Si ? Si ? Mais, avec des si on peut refaire le monde. Et, tu ne le refaisais pas. Non. Alors, t’allais à droite à gauche. La laissant, elle, derrière toi. Semaine au calme, tu t’en voulais parfois d’aimer être loin d’elle.

Vie. Tu n’aurais jamais pensé, qu’un jour, elle te pourrirait à ce point-là. T’aurais jamais cru, qu’un jour, le ciel te tomberais sur la tête. Oh, t’étais pas tout rose, ça non. T’avais déjà senti tes articulations écraser l’os de pommettes trop saillantes. Mais, t’avais jamais vraiment fait de connerie. Un peu le con. Un peu le fou. Mais, pas au point de te dire que tout s’arrêterais. Qu’elle te noierait dans la plus profonde noirceur. Toi, le solitaire des routes. T’avais vu ta vie s’arrêter. Peut-être un peu comme dans un film qu’on met en pause. Pause. Les flics qui défoncent la porte. Pause. Les cris de ta femme. Pause. Ton corps qui se débat, ta voix qui crie trop rauque. Pause. Les menottes à tes poignets. Pause.

Pause. On avait retrouvé des clandestins dans le container de ton camion.
Pause. Bien trop longue.

Bien trop longue. Quand t’étais ressortit de là. Le regard plus noir, l’âge plus avancé. Y avait dans ton cœur la rancœur. Oui, mais, aussi peut être l’espoir. De la revoir elle. Jusqu’à ce que tu te plantes devant ce qui avait été ta maison. Trop noire, trop vide. Plus rien. Plus d’elle. Plus de ta vie. Pas un mot, pas une lettre. Tout le monde te pointait du doigt. Tout le monde t’avait regardé comme un chien. Elle, aussi sûrement. Pour s’être tirée sans un mot. Pour n’être pas venu te voir. Mais, étais-tu si criminel que ça ? Se barrer, s’éloigner. Oublier le goût de bille dans la gorge. Faire comme si. Si. Si. Changer d’endroit, de vie. Peut-être aussi ? Reprendre la route. Juste une voiture. Changer de ville, se barrer le plus loin possible. Faire comme si rien n’était arrivé. Comme si.

Noir de néons. C’est peut-être pour ça que t’avais laissé ta voiture s’arrêter là. En panne. Comme toi. Se chercher un toit, un bouiboui et puis un boulot. N’importe quoi. T’avais vendu de la bière. Nettoyer des chiottes plus immondes que d’autres. La vie t’avait finalement réellement noyé. Dans un trop grand verre de whisky, dans un trop grand nombre de clopes. Une piaule insalubre, des boulots de merde. Pourquoi ? Parfois, tu voulais demander à Dieu. Mais, tu l’avais bien vite oublié, ce con. Jusqu’à peut-être ce soir-là, quand t’avais entendu tes deux collègues parler d’une annonce. Chauffeur. Et, tu t’étais revu sur les routes. Vision monochrome des déserts de nuit, multicolores des champs de jours. Aller d’un point à l’autre. De l’autre au point. T’étais allé la chercher cette putain d’annonce, une rage au ventre. Peut-être celle de te sortir du trou. Juste postuler, une tonne d’argent à la clé. Et tu sais pas. Pourquoi toi et pas un autre.

Tu sais pas. Mais, t’avais dès lors acheter un costume pas trop moche, pas trop cher. « M’sieur ». Tu le conduiras où il voudrait. Parce que t’allais changer de piaule. Parce que t’allais pouvoir te payer autre chose. Peut-être, allais-tu pouvoir revoir un minimum de lumière. Oué, peut-être. Conduire dans la nuit noire de néons multicolores. Toi, ça t’allais. Oué.