(matilda) l'empreinte des choses brisées.

dans sa prison coulée de béton gris, elle était là, quelque part, en orbite. les jambes ballantes dans la cage d'escalier, à regarder la vie des gens avancer et se construire. et la sienne qui restait suspendue dans le temps, comme figée, désamorcée. devant elle, du rien sur fond de néant et sous ses pieds, un abîme qui lui tendait les bras. la chute qui se présentait à elle comme une évidence. elle goûte au poison mortel de la cigarette logée dans ses doigts trop frêles et effleure sa joue de poupon, fêlée. œuvre de papa haze le camé, ce n'est même plus rare, qu'il lui refasse le portrait à coups de bleus sur l'épiderme. abusée, désabusée, humiliée, de ne pas se sentir exister aux yeux du monde, elle crut en devenir folle. les coups devenaient alors salvateurs, et la vilaine en redemandait presque. tout, plutôt que l'ignorance. spécialité de belle-maman, quand elle ne prenait pas la peine de cracher des atrocités de sa voix criarde. maman, la vraie, elle s'en est allée, comme une lâche et sans regret, s'obstine-t-elle à penser, en pleurant et en lui caressant les cheveux. place à l'affreuse et sa demeurée de progéniture obsédée à l'idée de ressembler aux nanas siliconées de ses magazines débiles. demi-sœur, seulement, pas même une bonne moitié. elle les hait, tellement. c'est viscéral, ils l'ont fait monstre de rage, si bien que du haut de ses douze piges elle avait déjà le regard fou, cette lueur inquiétante qui s'y loge, ce goût de cendres sur la langue et presque autant de suie au coin des yeux.  

mais il y avait jaime.
ce petit, tout petit bourgeon fleurissant parmi le chaos bancal qu'était sa vie. le seul, à lui donner un peu d'amour et l'impression que quelqu'un avait besoin d'elle. il était sa raison de vivre, tout ce que son cœur faible avait jamais désiré. ultime obstacle qui lui empêchait de sombrer pour de bon dans les abysses. sans quoi probablement, elle aurait pu se lasser de gesticuler pour se faire une place, perdre de ses couleurs et commencer à se qu'au final, elle n'était peut-être pas si mal, au fond de ce trou béant. qu'être lâche, c'est reposant parfois. et que ça ne serait certainement pas une grande perte. elle se plaisait à penser, qu'elle était bien plus une mère pour lui que cette sale truie l'avait jamais été. petit ange ne méritait pas ces gueux putrides qui se disaient être sa famille, alors, de tout son cœur elle a souhaité le préserver de cette puanteur ambiante. elle murmurait à son oreille endormie qu'un jour, bientôt ils quitteraient cette vie-enfer, rien que tous les deux. qu'ils passeraient leur temps à regarder des cartoons en se câlinant devant la télé comme ils aimaient le faire. c'était ça, la belle vie qu'elle s'était promis pour eux.

jusqu'à ce que.
tout vole en éclats, gamine. consumés les espoirs en papier mâché. il aura suffit d'une histoire de passe qui dégénère et d'une balle logé dans le crâne d'un gamin de quatre ans et demi. meurtre commandité pour le compte des capulets. ils n'ont pas apprécié que le plus pouilleux des pouilleux de la ville les aient pris pour des imbéciles en décidant de les rouler. tous ont péri des mains du flic sali et ses sbires au prix de sa connerie qui l'aura habitée jusqu'à son dernier souffle. on lui a arraché, le peu de consistance qui lui était donné. le désastre de leur taudis sans vie, minable qu'elle détestait tant, sans-dessus dessous, et la tapisserie effritée perlée de sang lui a soulevé le cœur. ses sacs de courses renversées, elle n'a pu ravaler la bile et l'horreur, à la hâte, dans l'escalier, comme une pestiférée. jetée dans un vide sans forme, elle prend la fuite, l'inconnu comme seul refuge. son aigreur, comme unique stimulant.