Alison • telling lies to protect someone you love only destroys them in the end

« Allo mon fils ? C’est bien toi ? Ah, je suis heureuse de t’entendre, ça fait longtemps, tu n’appelles jamais ! Comment tu vas, c’est bien là où tu es ? » Quand bien même il l’eut appelée trois fois par jour, la vieille femme se serait plaint à chaque coup de téléphone que son fils ne lui donnait pas assez de nouvelles. Alison sourit, pour lui-même, au bout du combiné. Et comme à chaque appel, il lui servait la même soupe fade et réchauffée. La vie, aujourd'hui, était belle pour lui, il avait réussi, s’en sortait financièrement. Lui, l'enfant moyen, qui n'avait jamais eu de grandes ambitions, plus casse-cou qu'autre chose, avait enfin réussi à s'en sortir par lui-même, dans un pays qui n'était même pas le sien. Du moins, c'est ce qu'il prétendait. Et ça suffisait à la femme, qui ne posait jamais plus de questions. Avait-elle confiance en son fils, ou cherchait-elle à se persuader elle-même qu’il lui disait la vérité, personne ne le saurait jamais. En revanche, si quelqu’un croyait dur comme fer à la réussite et la belle vie de Alison, c’était bien son petit frère, Caspian. Il le contactait si souvent que le jeune colombien s'inquiétait lorsqu'il ne recevait pas de message de sa part. Lorsqu'il eut l'âge, Caspian avait suivi les traces de son frère. Il avait quitté le cocon familial pour marcher dans ses pas, et rejoindre l'aîné de la famille à Night Vale. Alison était persuadé qu'il bluffait, mais il était trop tard lorsqu'il réalisa que le plus jeune avait bien l'intention de faire comme son frère. Si seulement il avait su... Si seulement il avait pu lui dire, lui révéler la mascarade.

« NON ! » Son cri de détresse résonna dans la tôle. Mais il était déjà trop tard lorsque Alison tenta de s’interposer. Une flopée de balles fendit l’air dans un brouhaha cacophonique. Lorsque que le silence reprit possession des lieux, plus lourd que jamais, tout le monde resta de marbre. Un corps inerte, un seul. Un jeune garçon, transpercé de balles, le t-shirt troué par ces petites entités meurtrières. A genoux, à ses côtés, Al, transi d’effroi. Sa main gauche se posa, hésitante, sur le visage de celui qui n’était autre que son petit frère, pendant que sa main droite se serrait petit à petit contre son propre visage, comme pour tenter d’étouffer sa terreur et sa peine devant ceux qui composaient son gang. Traversé subitement par la rage, il se releva et, sans un mot, attrapa son arme pour la brandir en direction de ceux qui venaient de prendre la vie de son frère. Il la pointait tantôt à sa gauche, tantôt à sa droite, incapable de savoir qui avait tiré, qui avait réellement mis un terme à la courte existence de Caspian. Une main se posa sur son arme, le forçant à la baisser. « Laisse tomber petit, c’est sa faute, tu pouvais rien faire contre ça. Range ton flingue va, ça vaut pas la peine. » Rien n'était de la faute de Caspian. Alison l'avait roulé, dupé, il lui avait fait croire qu'il menait la vie de rêve. Il n'avait pas osé lui dire que lorsqu'il était arrivé, fauché comme les blés, il avait été récupéré comme un vieux chien errant par un type qui avait l'air de bonne foi, mais qui l'avait utilisé en échange de la sécurité, de la chaleur ou d'un estomac rempli. Il ne lui avait pas dit que pour survivre, il s'était alors décidé à rejoindre le gang auquel appartenait cet homme pas si altruiste que ça, et qu'il vivait désormais plus ou moins correctement grâce à cette appartenance et à leurs magouilles. Alors forcément, lorsque Caspian avait débarqué à Night Vale et découvert le pot-aux-roses, il avait pensé que le train de vie enviable de son grand frère était le fruit de son appartenance à un gang. Al lui avait tellement bien vendu son quotidien que le benjamin n'avait jamais réussi à comprendre que les mensonges de son frère ne s'arrêtaient pas à son activité professionnelle. Tout le reste n'était que mascarade également. Sonné, Alison rangea son arme, en dévisageant tous ceux qui venaient d'utiliser la leur. Il ne savait pas réellement ce qu'il faisait sur le moment, mais une chose était sûre, le meurtre de son frère ne resterait pas impuni, peu importe s'il fallait qu'il règle ses comptes lui-même.

Mépris, dégoût, déception. Les coups de fil cessèrent. Petit à petit, ce silence se mit à peser sur sa conscience. Depuis qu’ils avaient appris pour la mort de son frère, les parents d'Alison avaient cherché à avoir des explications. A bout de nerfs, il avait fini par leur avouer tous ses mensonges. La belle vie, la réussite, le bonheur, tout ça n’était qu’une façade. Peu de temps après être arrivé à Night Vale, il s’était laissé embarquer dans la facilité de la vie dans un gang. Il se faisait entretenir plus qu’autre chose. Son frère était mort à cause de lui, de sa fierté, son ego, ses insécurités. Il n’avait jamais voulu avouer que toutes ces belles histoires n’étaient que d’immondes mensonges destinés à duper sa famille. Alison voulait leur faire croire qu’il avait réussi dans la vie,qu'ils pouvaient enfin être fiers de lui. Le colombien refusait tout simplement d'admettre qu'il avait lamentablement échoué, et plus encore, l'idée de mettre les siens au courant de sa situation était la plus grande de ses craintes. Mais la vie avait décidé de punir Al, en lui enlevant son frère, et emportant sur son passage tout ce qui restait de bon et de vivant en lui. Elle n'y avait laissé qu'un vide intersidéral et un désir de revanche enfoui au plus profond de son être, qui ne demandait qu'à exploser. La dernière image qu'il avait en tête après l'exécution de Caspian, c'était les visages de ces hommes, froids, distants, qui n'avaient éprouvé absolument aucun remords à abattre le jeune homme, et qui n'en avaient rien eu à faire après coup. Il ne savait pas vraiment ce qu'il en ferait. Mais Alison savait que s'il voulait être un peu plus en paix avec lui-même, il devait rendre justice, et qu'à Night Vale, il n'y aurait que lui pour prendre les choses en mains de cette manière. Entre temps, sa soeur l'avait rejoint. Elle ne lui en voulait pas. Enfin, sans doute un peu, il n'en doutait pas, mais elle ne venait pas pour lui demander des comptes. Non, Clyde venait pour faire payer les gangs à sa manière : essayer de les afficher, de les descendre grâce à la presse, de montrer à tous ce qu'ils manigançaient. Et c'était certainement encore pire. Après son petit frère, c'était sa petite soeur qui allait s'attirer les foudres des membres influents de Night Vale, et qui allait risquer sa vie au nom de la justice. Personne n'aurait de scrupule à tuer la journaliste parmi les membres de gangs. Voire à lui demander de se débarrasser lui-même de sa soeur indésirable à leurs yeux. Il devait maintenant empêcher le dernier enfant respectable de la famille de finir six pieds sous terre, et il comptait bien le faire, même au péril de sa propre vie.