Where did I go wrong? ▲ SIMONIA

Regarde ce que t'as fait à ta famille, espèce de connard. Le regard planté dans le miroir brisé de sa salle de bain, Alison tentait de trouver une raison logique à cet enfer. Plusieurs semaines avaient passé, et toujours pas de trace de sa soeur. Clyde était portée disparue. Il l'avait cherchée, en vain, jour et nuit, dans tous les quartiers, même ceux où il risquait sa minable vie. Le colombien n'avait plus grand chose à perdre à chercher sa frangine. Il était déjà mort pour ses parents, le fait qu'il le soit vraiment n'y aurait rien changé. Mais ni la mort ni la fille Ortega n'avaient fini par faire leur apparition. Il avait même demandé de l'aide à des membres de gangs rivaux, au cas où, savoir si quelqu'un chez eux l'avaient tué, pourquoi pas, après tout, ils seraient bien le genre à se vanter d'avoir tué une journaliste. La pauvre enfant... Avoir abandonné tout ce qu'elle avait pour faire la lumière sur la mort de son petit frère, alors que le vrai coupable n'était autre que son grand frère. Et maintenant, Alison devait décrocher son téléphone pour annoncer à ses parents qu'il n'avait plus de nouvelles de sa soeur. Si elle était morte, il ne resterait plus d'enfants aux parents Ortega, puisqu'ils avaient coupé tout contact avec Alison après son triste coup de téléphone après l'assassinat de son petit frère. Il prit son courage à deux mains et dégaina son téléphone, usé, comme lui. Al savait pertinemment que ses parents ne répondraient pas, mais peut-être écouteraient-ils son message, et le détesteraient ensuite encore plus qu'avant, si d'aventure c'était possible. Il amena le téléphone à son oreille après avoir composé le numéro. Une sonnerie, deux, trois... Le répondeur prit le relais, et il enchaîna après le message sonore. « Maman, papa, je... Je sais que vous n'avez pas envie d'entendre parler de moi, et... Et ça ne va pas s'arranger avec ce que j'ai à vous dire. » Il éclata en sanglots, tentant de ravaler ses larmes, mais échouant lamentablement. Son message entier était entrecoupé de tentative d'inspirations qui s'étouffaient sous les larmes. « Clyde a disparu... Je l'ai cherchée. Je l'ai cherchée partout je vous promets, mais je ne la trouve plus. Je sais qu'elle ne partirait pas sans me prévenir, alors... Alors je ne sais pas ce qui lui est arrivé. Je suis tellement désolé. Je sais que tout est ma faute, j'ai honte. Vous n'avez sans doute pas envie d'entendre le son de ma voix mais... Je vous devais la vérité. Alors voilà, je continue de la chercher. Et si vous avez des nouvelles, je vous en supplie, envoyez-moi un message. Au revoir, je v... » Le répondeur coupa court à sa tirade, il était saturé, son message était trop long. Qu'importait, ses parents devaient bien se moquer de l'amour de leur fils, désormais. Il aurait bien pu leur dire des centaines de fois l'affection qu'il leur portait, ça n'aurait rien changé à toute la peine qu'il leur avait infligée par ses mensonges et sa fierté mal placée. Il laissa tomber le vieux téléphone, las, tentant de calmer ses nerfs. Il mit plusieurs heures à arrêter de pleurer, après qu'une de ses habituelles crises d'angoisse se soit invitée à la fête. Al avait la tête comme un compteur à gaz lorsqu'il sortit de son appartement miteux, prêt à aller se saouler pour oublier, comme si sa situation actuelle n'était pas déjà assez pitoyable.

Un verre. Deux. Puis trois. Ils s'enchaînèrent au fur et à mesure que la soirée passait. Amers, comme son échec. Immondes, comme le sort que lui avait réservé la vie. Innombrables, comme les nuits sans sommeil depuis la mort de son petit frère. Une simple année avait dû s'écouler depuis que ce pauvre gamin était venu s'interposer dans une réunion entre gangs, et qu'il y avait perdu la vie. Al aurait juré que ça faisait une éternité. Une éternité que son quotidien était devenu morose et qu'il n'avait plus goût à rien. Même l'alcool, qui lui faisait tourner autrefois la tête après un verre, n'avait plus d'effets sur lui. Enfin c'est ce qu'il pensait. La soirée battait son plein, Alison n'avait pas quitté sa chaise depuis de nombreuses heures, silencieux, esquissant à peine un "merci" lorsqu'on lui remplissait son verre. Il fixait le verre dont il ne savait plus dévisser sa main, l'air dépourvu de toute énergie vitale. Il soupira, machinalement, quand un type s'assit à côté de lui en percutant son bras. Le coup avait réussi à faire légèrement déborder son verre fraîchement rempli. Triste métaphore de ce qu'il venait de se passer dans sa tête, une minuscule goutte d'eau pour faire déborder le vase. Sa tête tourna vers la gauche, d'un geste si mécanique que c'en était effrayant. Il posa son regard froid sur l'homme qui venait de le bousculer et qui n'avait même pas daigné s'excuser. Il n'était pas très grand, ni très musclé. Mais il l'était toujours plus qu'Alison. Qu'importe, après autant de verres, ces informations n'étaient pas arrivées au cerveau du trentenaire, qui s'enflamma à une vitesse éclair. « Je vous gêne pas, ça va ? » Si l'autre s'était excusé, peut-être que rien ne se serait passé. Mais il avait fait l'erreur de rire au nez d'Alison en guise de réponse à sa question. L'échange qui suivit fut houleux et presque incompréhensible. Si tout le monde s'attendait à ce que le colombien mette son poing dans le nez de l'autre, c'est finalement l'inverse qui se produisit. Al resta sonné par le choc, et mit quelques secondes avant de riposter, lui décochant son poing droit. Manque de chance, l'alcool le rendant plus lent et surtout; lui retirant toute notion de distance et de profondeur, il fut stoppé net dans son élan par l'énergumène, qui le bloqua aisément du bras. « Tu vas dégager du bar si tu continues, le poivrot. » Une voix s'éleva derrière lui. Il se retourna pour mettre un visage sur cette voix, avant de prendre un autre coup en pleine mâchoire, comme s'il n'y voyait pas déjà assez flou. Finalement, il n'eut pas le temps de savoir qui lui avait parlé. Ni même de tenter de se défendre, d'ailleurs, puisque l'autre homme avait disparu lorsqu'il tenta de riposter. Soit Alison était vraiment très lent, soit l'autre était la réincarnation de Flash. Il ne savait même pas si le gars était parti de son plein gré ou s'il avait été viré. Il reprit ses esprits, petit à petit, avant de se rendre compte que son nez pissait le sang. Il ne pouvait pas éponger tout ça avec le revers de sa main, mais il n'était pas non plus assez sobre pour aller jusqu'aux toilettes pour se nettoyer le visage, certain qu'il s'effondrerait sur le chemin. Il lança alors à la femme qu'il vit de l'autre côté du bar : « Vous n'auriez pas quelque chose pour ça s'il vous plait ? » Étonnamment, son ton s'était clairement radouci. Il ne trouvait pas vraiment ses mots, vu qu'il avait été incapable de dire "mouchoir" et "sang", mais il faisait de son mieux. S'il avait été seul, il aurait sûrement pleuré comme un enfant, mais même alcoolisé, il gardait un certain sens de l'honneur. Enfin si c'était possible après s'être lamentablement battu et n'avoir réussi à rien faire face à son adversaire.

Plus jeune, Al ne tenait absolument pas l'alcool. A vrai dire, il n'en buvait même pas une goutte. C'était après quelques semaines à Night Vale que le colombien s'était mis à brûler sa gorge de manière presque quotidienne. Une façon comme une autre de se fondre dans la masse. Puis une habitude malsaine. Alison avait fini par boire même lorsqu'il était seul dans son logement miteux. Il ne savait même plus si ça apaisait ou aggravait ses si nombreuses crises de panique. Dieu seul savait à quel point elles étaient de plus en plus fréquentes depuis que Clyde avait disparu. C'était un miracle si le membre des Silver Chapel n'en subissait pas une par nuit. L'insomnie en ajoutait à sa fatigue et à son incapacité à faire face à ses crises. A chaque fois que l'idée de sa soeur traversait son esprit, il n'était plus vraiment maître de lui-même. Plus le temps passait, plus le colombien était persuadé qu'un membre de gang l'avait tuée. Ca aurait même pu être un membre des siens, puisqu'il avait beau être le frère de Clyde, elle restait une menace pour la pérennité de tous les gangs de Night Vale. Son coeur se serrait un peu plus chaque fois qu'il pensait à elle, peut-être perdue, seule, errant dans les pires recoins de la ville, ou pire, gisant au bord d'une route, lâchement assassinée et dans le froid.

Alison n'avait pas vraiment eu le temps de réaliser ce qu'il s'était passé, si bien qu'il regarda frénétiquement autour de lui si ceux qui venaient de l'agresser ne revenaient pas à la charge. Il s'arrêta de balayer le bar des yeux lorsque sa tête commença à tourner, avant de s'apercevoir de l'état de son nez. A peine avait-il eu le temps de demander à la gérante un peu d'aide pour éviter de se faire arrêter en sortant du bar, à cause du sang qu'il aurait sur lui, qu'elle était déjà devant lui avec ce qu'il fallait pour arrêter le saignement. Al l'avait bien vue, en entrant dans le bar, sobre, il avait même dû la saluer, mais plus il buvait, et plus l'identité des personnes l'entourant disparaissait de sa mémoire. Il lui fallut donc quelques secondes avant de reconnaître la jeune femme, une de ses clientes au garage des Argentis. Immédiatement, la honte le saisit, et il balbutia un "merci", gêné. Simonia lui demanda ensuite s'il connaissait les hommes qui venaient de semer le trouble. Il ne les avait jamais vus de sa vie à vrai dire, mais il était bien content d'apprendre qu'elle les avait mis dehors. Le coup qu'il avait pris l'avait semblait-il réveillé un peu, Al était moins à l'ouest que quelques minutes auparavant. « Non, je les avais jamais vu avant aujourd'hui. » Il revenait un peu à lui, assez pour remarquer les regards désapprobateurs de certains clients sur lui. Il n'avait pas vraiment l'habitude de se faire remarquer, ça le mettait mal à l'aise. « Désolé d'avoir foutu le boxon. C'est ma faute, j'aurais pas dû provoquer ce type. » En y réfléchissant, Al se disait qu'il aurait tout aussi bien fait de fermer sa grande bouche pour éviter d'énerver l'énergumène. « Je peux me faire pardonner ? » Un verre ou deux avaient dû casser pendant la bagarre, et Al détestait faire des vagues sans réparer ce qu'il faisait de mal. C'était à se demander ce qu'il pouvait bien faire dans un gang. Que ne ferait-on pas pour survivre ?