a taste for death (helios)

Un soir de plus, à te morfondre, seule, dans ta chambre, après la visite habituelle de tes géniteurs. Qui viennent vérifier que tu es là, bien sage, studieuse, plongée dans une lecture pour l'université. Dans ces cas, tu joues la comédie - après tout, tu ne sais plus faire que cela, à présent. Jouer à l'innocente, à l'ingénue douce et malléable, soumise, obéissant à tous les ordres. Leur naïveté fait peine à voir. Dès qu'ils repartent, tu abandonnes ce masque. Tu retrouves ta perversion, toute l'étendue de ton vice et tes idées noires. Tes envies d'escapades, aussi. Difficile d'aller bien loin, malheureusement. Alors, tu te contentes de Night Vale, de ses néons éblouissants, de ses ruelles sombres, de ses lieux abandonnés et glauques à souhait. Comme tu les aimes, d'ailleurs, ces lieux entre deux mondes, si proches de l'enfer pour certains. Où la mort peut surgir à tout moment, les balles fuser dans l'air. Ce danger t'obsède. Les seuls frissons qui te maintiennent en vie.

Ce soir ne déroge pas à la règle, tu vas t'échapper, comme toujours. Errer dans Night Vale, assoiffée de visions d'horreur, ton appareil photo à la main. Que pensent ceux qui te voient déambuler, tel un fantôme, à travers les rues, de ton pas las? Que tu es folle à lier, sûrement. Tu leur répondrais que la folie est toute relative. Nous sommes tous le fou de quelqu'un. Te voilà donc, après une longue marche, à l'Est de Night Vale. Un lieu moins gangréné par les gangs que les autres, peut-être. Mais aucun lieu n'est véritablement épargné et ton instinct te dit que, ce soir, quelque chose d'atroce va se passer. Dans ta robe de satin blanche, virginale au possible, qui cache magnifiquement la noirceur de ton âme, on pourrait croire, de loin, que tu es une future mariée. Qui a perdu son fiancé, peut-être, et qui le cherche à tout prix. Ou qui l'a tué, peut-être ? Voilà, ton imagination fantasque te joue encore des tours.

Un peu déçue, tu te rends compte que ce soir, la nuit est désespérément calme. Tu regardes la lune pleine et scintillante, un léger soupir aux lèvres. Pas de mort, pas de coup de feu, pas une trace de sang. Rien. Comment expliquer cette accalmie inhabituelle ? Déçue, tu continues néanmoins de marcher sans réel but, en prenant quelques photos, par ci par là. De vieux panneaux publicitaires, d'un chat errant, des reflets de la lune dans un capot de voiture. Passe temps futile qui t'ennuie déjà, quand, soudain, non loin de toi, tu entends un bruit exquis. Un bruit qui ferait déguerpir le commun des mortels, crier les mères de famille. Le vacarme énorme d'un coup de feu. Un seul. Une note divine, dans une partition à laquelle tu comptes bien participer - en dépit du bon sens, comme à ton habitude.

Le bruit semble venir du motel qui se trouve sur ta droite. Un lieu connu pour ses fréquentations jugées peu recommandables. Un lieu de passe miteux, où personne ne songerait à réserver une chambre, à part pour se payer une prostituée. Pas de jugement de ta part envers ces femmes. Il faut ce qu'il faut pour survivre dans ce monde de merde. Plantée devant le motel, tu observes l'édifice, à l'affût du moindre bruit. Tu n'as pas spécialement envie de te faire descendre ce soir. Tu n'as pas grand chose pour te défendre, si ce n'est un couteau que tu as toujours avec toi. Cadeau de ton père, avec un rubis incrusté dedans.

Tu attends quelques minutes, cachée. Tu sens tes tempes battre, ton coeur accélérer, à l'idée de ce que tu vas voir. De ce qui va se graver dans ton esprit détraqué. Puis, tu sors de ta cachette, à pas de loup, pensant que le tireur n'est plus là. Tu avances vers le motel, doucement, le regard analysant tout ce qu'il y a autour de toi. Soudain, tu t'arrêtes. L'objet de ton désir est là, pile devant toi. Une flaque de sang qui se forme, qui coule sur le palier, depuis la porte entrouverte. Enfin.

Avec beaucoup de précaution, tu pousses délicatement la porte, afin de découvrir le cadavre, déjà prête à prendre tes photos. Ton sang ne fait qu'un tour quand tu vois un homme dans la pièce, une arme à la main. Reconnaissable entre mille, à force de l'avoir épié dans toute la ville. Tu ne connais pas son nom, rien de lui. Il est une âme errante comme toi. Mais un criminel, ce en quoi il t'est supérieur, dans un sens. Toi, tu n'as jamais eu le courage d'ôter la vie de quelqu'un. Mais ce n'est pas l'envie qui manque.

Tu étais persuadée que le tireur serait parti, entre temps. Pourquoi rester tant de temps dans la chambre ? Pour effacer les éventuelles traces du crime, peut être. Tu restes plantée là, terrifiée et fascinée à la fois par ce que tu vois. Une femme débraillée baignant dans son sang, à terre, le visage saisi par la mort. Interdite, pathétiquement muette, partagée entre une foule de sentiments contradictoires, tu dévisages le tueur, un instant perdue dans la contemplation de son visage. Tu espères qu'il ne va pas te tirer dessus. Tu rêves d'un mort grandiose, titanesque. Pas d'une mort banale dans un motel pourri. Que lui dire ? Pardon, ce n'est pas cette chambre que je cherchais. Non, inutile de mentir ainsi. Alors, tu balbuties: « Qu'est-ce qu'elle a fait pour mériter ça ? » Tu te fous totalement de cette femme, mais joues la carte de l'ingénue, comme à ton habitude. Tu veux jouer la carte du hasard, aussi. Mauvais endroit, mauvais moment. Stratégie sûrement peu intelligente. Il ne sera pas dupe. Mais comment réagir face à celui qui hante tes rêves macabres et qui t'incite indirectement à ces escapades nocturnes ? Tu aurais pu, et même dû, prendre la fuite. Mais le danger est là, à portée de main. Tu ne lui échapperas pas.