☾ (ruby) enfants terribles

Il est tôt et elle s'ennuie, la princesse aux draps de soie. Lassée de tourner en rond dans sa chambre trop grande, lassée de foutre le feu à sa vie d'avant en posts intagram tout juste bons à faire rêver des gamines de seize ans en manque de confiance, lassée de faire semblant de lire, encore et encore, le même livre à chaque fois que quelqu'un vient frapper à sa porte. Prise d'une envie brûlante, elle glisse sa main entre ses cuisses et caresse, presque tendrement, la dentelle de son sous-vêtement. Inutile. Il lui faudrait les mains carrés d'un homme, la bouche charnu d'un inconnu, le danger d'une petite ruelle, pour mouiller encore. Elle se ravise, se lève, s'approche de la grande fenêtre ouverte, s'y penche et s'allume un joint, déjà roulé et posé là, à la vue de tous, sur sa coiffeuse.La fumée épaisse emplit sa bouche, pénètre ses poumons, calme ses pulsions. Si elle n'a jamais approché sa narine d'une paille, Lua connaît par cœur les effet de l'herbe sur son organisme. Elle sent sa respiration ralentir et son sourire grandir sur ses lèvres, sans raison. Elle sent les minuscules fourmis qui montent le long de ses tibias, curieuses et affamées.
Elle écrase son mégot sur le rebord de la fenêtre. Il y laisse une énorme trace de cendres, qu'elle ne prend pas la peine d'effacer. Sans trop y réfléchir, elle quitte sa chambre et vient frapper à celle de Ruby. Une fois. Pas de réponse. Une nouvelle fois. Toujours rien. Lua entrouvre la porte et s'engouffre dans la pièce à la taille démesurée. Une odeur de parfum flotte dans l'air, présence mutine et presque évaporée d'une Ruby déjà loin. La petite souris observe tout, mais c'est sur le placard immense laissé entrouvert que son regard s'échoue. D'un geste lent, elle ouvre la porte en grand. Sous ses yeux, des centaines de robes toutes plus belles les unes que les autres, des talons de toutes les couleurs et même quelques bijoux, abandonnés dans une jolie boîte. Lua éclate de rire, touche à tout, renifle même certains tissus, curieuse et dispersée.
Heureuse de ses trouvailles, elle jette quelques cintres sur la grand lit de Ruby - robes somptueuses de créateurs. On dirait une tempête qui chercherait à prendre possession de la pièce toute entière, gesticulant, éclatant de rire et d'aise. Dans un mouvement brusque, elle retire son t-shirt et sautille sur une mélodie inexistante. Elle s'empare d'une robe, la plus courte, qu'elle enfile à même sa peau nue. Face à elle, l'immense miroir lui renvoie une image qui ne peut que lui plaire. Elle s'observe sous toutes les coutures, détaille ses fesses, ses seins, ses jambes, son ventre plat, sa taille fine. Elle sourit. Elle ne peut que sourire. Elle est belle. Elle est foutrement belle dans sa parure de Capulet. Elle enfile des talons, au hasard, et joue à être Ruby, paradant autour du lit, le menton relevé et la démarche fière, un pas devant l'autre, comme sur une ligne, les fesses qui dansent, très légèrement, les bras le long du corps, le sourire presque timide de la petite fille parfaite, de l'enfant dont les Capulet rêvaient.
Conneries.
Un bruit, juste derrière elle, fait sursauter Lua. Elle s'immobilise, en équilibre sur une jambe seulement, et éclate d'un rire tonitruant. "Bonsoir, je suis Ruby et je suis parfaite", clame-t-elle avant même de se retourner.