when she's leaving your home she's begging you, stay. (fitz)

« T’pourrais fermer la fenêtre crétin. » marmonne-t-elle entre ses dents. Le silence lui répond, encore fragmenté par les rayons de l’aube qui achève de se lever paresseusement. Elle enjambe le rebord de la fenêtre, les deux mains prises par le café brûlant qui lui écorche les phalanges et le sachet plein d’la pauvre brioche d’une boulangerie mal fréquentée du coin. Elle a le vieux sweat noir des zonards, cachant la pâleur de ses joues et son satané sourire de princesse. L’indomptable chevelure de Cendrillon ne faisant plus que des nœuds dans la capuche, certaine ainsi qu’ici personne ne la reconnaît.

Non sans mal l’équilibriste se retrouve à l’intérieur d’la piaule de l’irréveillable Fitzgerald. Empêtré dans des draps qu’il partage pour une fois avec lui et lui seul, le visage encore décoré d’la marque d’un vieil oreiller. Les bras ballants, le diable dort. Et paradoxalement, il a l’allure des anges, égratignés de ses nombreuses fresques encrées sur son épiderme. Le souffle tranquille, la pièce respire la nicotine encore suave de la nuit. Elle n’sait même pas depuis quand il dort. Une heure, peut-être deux.

Sagement la gamine s’assied en tailleur au pied du lit, ses grands yeux bleus fardés braqués sur l’gosse qui somnole paisiblement. Elle ose pas le réveiller mais l’café refroidit entre ses doigts. Elle ose pas venir plus près parce qu’elle sait plus si elle a l’droit.

Dans une ivresse mélancolique il a regardé les filles danser. Ces filles qui se dénudent sous des yeux vicelards, qui se déplument jusqu'au dernier empiècement de chaire. Dans ses prunelles à lui, le désintérêt mirait dans l’abysse. La braise dans le corps, la glace au cœur, il a lorgné jusqu'à l'épuisement d'un ennuyé. Il est pas resté longtemps vissé sur le cuir mal odorant, il a repris sa bouteille et ses clopes et a tracé dans les ténèbres.

Chez son père il était déjà parti en fumé, il a retiré ses fringues crades de plusieurs jours et il a laissé la carcasse crever dans son lit. La fatigue que certains appellent ça, lui il a oublié ce que c'était d'être fatigué, il pourri à petit feu et le monde part avec lui.

Les yeux révulsés vers les galaxies sous ses paupières closes, l'enfant du chaos émerge de son charnier, les phalanges encore un peu ébréchées. Rage nocturne d'un animal satanique. Il a vu sa princesse, mais seulement dans un songe. Un terrible songe purpurin qui l'abreuve du goût du sang au réveil.

Le lit s'affaisse. Peut-être n'était il pas seul quand il est rentré hier soir, peut-être que cette soirée n'était qu'un énième cauchemar qui prend un peu trop l'apparence de la réalité.Peut-être qu'à nouveau il a soigné les maux à l'aide du corps, peut-être qu'il avait déjà trop bu pour voir cette ombre se glisser dans son lit.

La réaction elle est primaire, il tape dans la forme inconnue avec son pied, car bordel personne a le droit de se poser sur son lit. Elle ne devrait plus être là, l’infortuné de sa couche. Après minuit, c'est ce qu'on apprend à tous les gamins, même ceux de la rue, les princesses se taillent et retournent auprès de leur prince. « P'tain, dégage ! rhabille toi et casse toi ! » râle grossier avant qu'il ne se redresse et tombe nez à nez avec son songe.

Cette princesse, c'est la sienne.

Et quand Satan se réveille, l’orage gronde déjà. Il rejette les putains pour exorciser les princesses. Phil elle est là, plus tellement choquée par ce parler violent, plus tellement étonnée de l’entendre s’invectiver contre des fantômes oniriques. Elle prend les coups, par habitude. Elle désamorce les ordres, par simple égo. Les yeux rieurs, l’café en équilibre, elle arque un sourcil, osant à peine élever la voix, on n’sait jamais qui pourrait finir par la trouver là. « Si l’café te tombe sur la gueule, j’te jure Fitz, tu peux t’en prendre qu’à toi-même. » Elle jette un coup d’œil vers la porte close, la capuche sombre toujours vissée sur la tête. « Idem si ton daron débarque. »

D’son pied encore chaussé d’une basket destinée à son aventure d’escaladeuse de bon matin, elle pousse le corps encore mou de Nilsen. Son attention déjà bien accaparée, elle ne quitte plus ce visage aux cernes violacés, offrant d’une main le fameux gobelet fumant encore intact, de l’autre le sachet graisseux de brioche. Naïve gamine, touchante poupée un peu gauche dès qu’elle remet les pieds chez l’ennemi. Elle a désappris, à ne plus passer ses nuits à vagabonder, entre le songe et l’éreintante réalité. Elle a l’impression d’plus vraiment connaître, l’odeur de ce môme au réveil qui émerge dans les vapeurs de cigarette.

« C’pas ton anniversaire, mais c’est un jour à marquer comme l’premier où j’débarque avec un petit dej. » Elle ajoute moqueuse, alors qu’l’inévitable tristesse pointe dans le fond de sa gorge. « Et c’est sûrement l’dernier. » Elle n’sait pas n’pas flancher. Elle n’sait plus mentir. C’est pour ça qu’elle cille, baissant ses yeux déjà brumeux.

A trop franchir d’interdits, Roméo et Juliette sont retournés en prison.

« Rah c’est qu’toi. » Que toi mon amour. Doucereux atterrissage au pays des vivants, sa tête pleine de songes retourne s’écraser contre son oreiller. Nilsen, il n’est ni du matin, ni du jour, ni du soir, c’est le gamin toujours un peu sauvage, toujours un peu trivial peu importe les couleurs qui imbibent le ciel. Sommeiller, émulation de la mort, émulation de la paix. Alors, réifié dans ses draps, il repart dans les tréfonds du sommeil. Mais la voix de la belle agace le roi des cauchemars. « Si tu continues d'me faire chier c’pas le café qui te tombera sur la gueule. » Fausse prophétie, les menaces elles n’opèrent plus. Plus sur elle, elle qui n’a plus peur, la princesse téméraire, qui se jette dans la gueule du loup, et dévore le monstre de l’intérieur. « Il taff, si il était là t’aurais déjà une balle entre les deux yeux. »

Sourire.

Sourire interdit car l’image de sa blonde ensanglantée lui pétrit le cœur, mais cette menace-là, elle fonctionne encore. Il prend le café la remerciant d’un grognement presque poli et farfouille dans le paquet à l’odeur alléchante. Il lorgne sur sa princesse qui est venue jusque dans ses enfers, dans le cimetière de sa tendresse. Il méprise sa venue, ce mirage de danger qui avait coutume de l'exalter. Elle va à la rencontre du funeste, flirte avec la mort. Lui ne risque rien, rien d’autres que sa misère quotidienne. « Barre toi avant qu’il rentre, il était plutôt d’bonne humeur ces derniers jours » Miséricorde gratifiée par le roi des enfers lui même, qui laisse la peau de son fils incolore et indolore depuis plus d'une semaine.

Mais c’est vrai qu’avec elle dans l’coin, les limbes se méprennent pour le paradis, mais il y croit plus à cette illusion, à l’amour plus fort que tout. « et ça sera vraiment l’dernier » Parce qu'en enfer, il n'y plus qu'à brûler en se regardant s'aimer.

C’est qu’moi ouais.
Moi qu’tu vois plus qu’un soir sur six.
Dis moi, toi, comment tu tiens Fitz ?

Elle ne rit pas vraiment à ses menaces sarcastiques. Elles n’ont plus de valeur de sa part. C’est désormais d’ailleurs qu’elles viennent. La poupée de cristal n’est plus qu’une ombre dans le quotidien de ce gamin. Elle perd de sa saveur et de sa consistance, ne pouvant désormais plus imprimer sur leurs épidermes les ravages de sa présence.

« Toujours aussi aimable. » elle rétorque. Alors qu’il se serre dans le sachet qu’elle a gentiment apporté, elle s’étale dans ces draps regorgeant d’effluves masculines, un peu rassurée de ne pas avoir à en chasser les fantômes et les squelettes de ses proies nocturnes. « Tu permets, j’ai pas traversé la ville pour repartir au bout de cinq minutes. » Et pour attester ses propos, elle se love dans les draps, y retrouvant sa place d’autrefois. Le sommeil lui écorche la bouche, alors que sous ses yeux les cernes violacés de ses veillées soulignent la vaste étendue océanique de ses yeux.

Sans discrétion elle observe le diable au réveil. Lui et ses mèches hirsutes. Lui et sa barbe de trois jours. Lui et l’absence de sourire qu’elle était venue chercher.

« Nilsen ? » Elle sacrifie le silence pour ses questions à la con. Ses peurs de môme et ses paroles qui rompent le compte à rebours qu’elle sait déjà enclenché. « J’te manque ? »

Façon polie de demander, dis crétin, tu m’as pas trompée ?