Noyez l'alcool dans un verre en papier - Feat Rosalie

tout n'est que paradoxe. t'as perdu toute notion de temps depuis qu'on te l'a arraché, pourtant chaque jour passe avec la plus insupportable des lenteurs. une souffrance continuelle qui te prend les tripes dès le réveil dans ce lit bien trop grand pour ta seule frêle silhouette, et qui te lacère jusqu'à ce que tu rejoignes enfin morphée. même dans ses bras bienveillants tu ne trouves pas le repos, son visage hante tes rêves quasiment toutes les nuits et tu te réveilles bien souvent dans la sueur et les larmes, les restes de ton coeur battant à tout rompre. c'est une peine qui ne te quitte jamais complètement, même lorsque tu tentes de nourrir ton esprit avec mille et un leurres. des distractions qui t'offrent quelques heures de répit loin des tourments de ton âme, mais ne permettent jamais de te libérer de ce poids qui t'entrave à chaque pas dans le sol, chaque respiration brûlant tes poumons. il existe cependant un moyen un peu plus efficace que les autres pour alléger ta peine, et plus les jours passent et plus tu te familiarises avec. le cap de la majorité tout juste atteint, tu uses et abuses de ce nouveau privilège qui t'est accordé par la loi américaine pour te perdre aisément dans les méandres de l'ivresse et abandonner un peu de ton fardeau au fond de ce verre que tu vides avec avidité, le tout en échange de quelques onces de dignité. comme pour mieux préserver ce secret, ta fragile constitution te fait accéder à ce nouvel eden en quelques gorgées seulement, si bien que personne ne te verra jamais au cliché de la bouteille à moitié vide à la main. les seuls qui pourraient éventuellement avoir des doutes sont ceux qui travaillent dans ces bars que tu fréquentes désormais régulièrement, à l'instar de simonia que tu vois s'approcher de toi avec ton poison fétiche entre les doigts. la brune est la propriétaire du michelangelo, l'un de tes nouveaux repères et probablement celui que tu côtoies le plus souvent du fait de sa situation particulière dans les histoires de night vale. « Tiens, c'est pour toi, comme d'habitude. Mais dis moi, ça n'a pas l'air d'aller fort ce soir. Une impression ou je me trompe ? » tu lui adresses un faible sourire en guise de remerciement et la laisses s'installer sur une chaise à côté de toi avant de lui répondre à demi-voix, presque dans un murmure. « pas vraiment... il me manque, comme toujours. » elle est au courant du mal qui te ronge, tu lui avais raconté toute ton histoire lors d'une de tes précédentes visites après avoir explosé en pleurs sous ses yeux. elle t'avait longuement écouté, t'offrant un peu de réconfort, une épaule pour t'épancher et un verre pour oublier. « on dit qu'il faut laisser le temps faire son oeuvre mais j'ai l'impression que le temps a oublié de s'occuper de moi. c'est toujours aussi dur. » lâches-tu dans un souffle, les yeux rivés sur les rebords de ton verre.

t'as jamais été douée au jeu des faux-semblants. depuis ta plus tendre enfance, tous ceux qui te connaissent un tant soit peu peuvent lire en toi comme dans un livre ouvert. même les parfaits inconnus, pour peu qu'ils soient un minimum perspicaces, parviennent à te cerner et te déchiffrer sans aucun mal. incapable de dissimuler les émotions qui envahissent ton être, de cacher les pensées profondes qu'abrite ton esprit, d'ordonner à ton propre corps de rester neutre pour ne pas te trahir. tes yeux se baissent lorsque tu mens et tes joues rosissent quand on met le doigt sur une vérité embarrassante. une anomalie parmi tant d'autres chez toi, pourtant pure enfant des enseignements élitistes de la dynastie capulet, famille où l'hypocrisie est reine et les secrets légions. tu envies jalousement cette capacité exceptionnelle à s'auto-protéger que tes parents et tes soeurs ont développé à la perfection. toi, tu n'avais qu'un seul secret à garder et tu as piteusement échoué pour la plus insupportable des conséquences. maintenant tu t'efforces de faire illusion aux yeux de tous, de garder la tête haute devant le monde entier quand tu t'empresses de trouver refuge dans les bars la nuit tombée. tu y trouves le réconfort pendant quelques heures, dans la boisson et l'oreille attentive des personnes comme simonia qui écoutent sans te juger. à moins qu'ils ne soient tout simplement plus doués que toi pour faire semblant, tant que tu craches les billets verts qui les intéressent tant. ce n'est pas l'impression que tu as avec la brune assise près de toi, mais tu n'es pas meilleure pour évaluer la sincérité des gens que tu ne l'es pour cacher tes sentiments. dans le fond au final, cela t'est égal. plus rien n'a d'importance désormais. « Le temps n'agit pas de la même façon sur tout le monde Rosalie. Pour certains, il faut finalement peu de temps, pour d'autres, il en faut beaucoup plus parce que nous n'avons pas la même sensibilité. Après, il faut tenter d'aller de l'avant, et ne pas vivre indéfiniment dans le passé, je sais que c'est facile à dire, et moins facile à réaliser, mais je peux te garantir que ça marche. Mais tu verras, avec le temps, tu sauras quand tu seras prête à aller de l'avant, à reprendre cette marche en avant. » répond-elle alors que tu lâches une nouvelle plainte sur ton mal être. tu sais qu'elle a raison, mais peut-être que ce sont des vérités qui sont juste bonnes à dire. peut-être même que tu es prête à les entendre mais tu n'as aucune idée de comment les appliquer. « et si cela ne vient pas ? je sais que je ne peux pas vivre dans le passé mais le présent et le futur ne m'intéressent pas. » tu détournes les yeux quelques instants pour prendre une longue gorgée du verre frais entre tes doigts. les traits de ton visage se crispent légèrement sous la brûlure langoureuse de l'alcool qui coule dans ton gosier et dont tu suis avec application le cheminement jusqu'à ton estomac. tu reportes à nouveau toute ton attention sur ton amie, curieuse de connaître sa propre expérience. « comment tu as su toi ? quand tu as perdu tes parents ? comment tu as su que tu arriverais à y survivre et à continuer ? » elle aussi t'avait raconté son histoire. elle avait vécu la perte des êtres les plus chers à son coeur, et pourtant elle était toujours là des années après, affrontant de nouvelles épreuves, de nouvelles histoires. comme si la vie continuait.