Sid ⁑ Memories are like stones, time and distance erode them like acid.

Maman Banks et Papa Crimson. Une rencontre un peu fortuite, quelques coups de reins erratiques. Une histoire d’amour sans majuscule, sans exclusivité, juste quelques virgules. Lui, amoureux de sa folie, de ses hurlements hystériques lorsqu’il la touche. Elle, accro à son pouvoir, surtout à ses substances, trop abandonnée pour ne pas se raccrocher. Construction d’un chez eux, d’une île où revenir, parfois, quand les vierges ne le satisfont plus. Quand les drogues ne la cloîtrent pas dans son esprit torturé. Un incident, des pilules mélangées, un ventre qui s’arrondit. Des hurlements, des menaces, des pleurs. De l’espoir, une envie, des rêves. Sidney, petit héritier qui fait fantasmer.

Une fille, pas d’chance. La déception, jour après jour, qu’elle ne soit pas c’que l’papa voulait qu’elle soit. Pas assez si, trop cela, jamais c’qu’il faut. Parfois, il s’résigne à l’accepter, à se dire que c’est sa petite, fille, à lui. La seule au féminin qui ne le décevra jamais. Alors il revient, il la couvre de câlins, l’appelle ma chérie et sourit lorsqu’elle pose sa petite main sur la sienne. Mais voilà, y a l’Appel. Cet air entêtant qui le prend par les les tripes, qui le tire vers la violence, vers ces jambes rasées et galbées qui s’ouvrent, accueillantes. Y a ces outils métalliques dont la musique sème la mort, y a ces blousons dont il aime l’odeur du cuir. Plus que tout.
Un dos tourné, des sweety, des darling, l’odeur de cigarette mélangée au cuir. Voilà comment cette môme voit son père.
Et là, vous vous dîtes qu’elle va pas nous casser les couilles, la môme, avec son paternel absent et égoïste ; Qu’elle est pas la première à qui ça arrive et qu’elle sera pas la dernière. Qu’y’a sa mère, encore, qu’elle a cas s’raccrocher à ça. À sa pauvre mère dont les pieds ne touchent même plus le sol à force de planer toujours plus haut. Incapable de poser sa poudre, ses pilules pour neuf mois, qu’a fait cadeau d’un cœur bancal à la pauvre enfant. Accrochée à c’mari qui n’en a rien à foutre, hurlant son amour à la lune lors des nuits de sevrage, recroquevillée sur son futon mal lavé. L’enfant qui lui pose des linges humides sur le corps, qui nettoie les salissures que son corps en manque laisse sur le sol. L’enfant qui a peur lorsque son regard croise celui de sa génitrice, qui évite les coups portés par la douleur, par la colère de ne pas recevoir sa putain de dose quotidienne.

Et cette famille, et ces voisins. Ceux qui l’accueillent avec un sourire lorsque son petit doigt fait retentir la sonnette de leur maison. Ceux qui lui ont fait son premier gâteau. Celle qui lui a appris à tresser ses cheveux et à faire ses lacets. Celui qui lui a lu sa première histoire et lui a offert son premier livre. Disparus, envolés, chassés, tués. Tristesse infinie et colère innommable ; D’être abandonnée, de ne pas être partie avec eux. Prise de conscience face à ce paternel aux activités douteuses. Promesse de ne jamais y prendre part. Serment violé maintes fois et culpabilité.

L’âge de raison, la majorité. Une bougie soufflée sur un gâteau miteux acheté dans une boulangerie de seconde zone. Son mec, ou plutôt un mec, chante faux et ça lui donne envie de le gifler. Mais elle dit rien, elle se colle un sourire sur le visage pour éviter les questions. Elle s’en fout, de ça ; Elle n’a jamais fêté son anniversaire. Tout ce qu’elle a en tête, c’est son départ. Dans sa poche, elle sent son billet lui brûler la peau. Tout ce qu’elle souhaite, c’est rentrer chez elle, soulever cette latte de parquet qui craque pour y planquer l’ultime pierre à l’édifice. Bientôt, elle pourra partir. Bientôt, elle aura assez d’argent. Elle ne pense qu’à son manuel, à ces pages d’anatomie qu’elle doit apprendre par cœur. Médecine. Instinct du sauveur de l’enfant victime des addictions de sa mère, des crimes de son père, Sid n’a pas pu s’en empêcher. Pourtant, les autres, elle n’en a rien à foutre. Ça s’accroche, ça vous coule ; Seule, elle peut s’envoler. Mais c’est plus fort qu’elle.
Qu’il se dépêche de finir sa chanson, pas besoin de la faire dans plusieurs langues. Elle veut s’enfuir, de ce monde, de sa vie. Jamais oubliés, les châteaux de ses rêves d’enfant ; Le sien sera petit, et sûrement sale au début. Il aura un mur jaune, comme le soleil et de grandes fenêtres pour ne plus être obligée de s’éclairer à la lampe pour écrire. Elle resserre ses doigts sur le papier vert et froissé, se disant que cet air faux sortant de cette bouche si parfaite ferait un bon thème de chanson. Elle se promet de le coucher noir sur blanc, plus tard, lorsqu’elle sera seule. Et elle souffle ses bougies.

Comme un zombie, sa main décharnée s’écrase contre son biper. La blouse tachée, une odeur âcre habite la salle. Trop fatiguée pour s’en préoccuper. Elle se lève avec cette envie d’envoyer une chaise dans la gueule de ce patient qui a besoin d’elle. Pourtant, elle court, presque, dans les couloirs, insultant furtivement un médecin sur son passage ; Elle n’arrivera pas trop tard.
Encore un de ces corps tatoués qui sent le cuir, elle ne regarde pas son visage, elle ne veut pas le reconnaître. Ce ne sera qu’un patient parmi d’autre, pas un membre de sa famille, pas un symbole de cette violence qu’elle fuit et qu’elle ne peut s’empêcher d’embrasser une fois ses heures de repos venues. Petite lueur vacillante, Sid n’est plus qu’une machine cassée, automatisée, formatée. Son cerveau éteint, son cœur à la dérive, elle plaque ses mains sur le palpitant de cet homme trop vieux pour faire la guerre des rues. Tous pareils, tous différents. Un, deux, trois, quatre. Elle lui insuffle la vie, fermant les yeux devant celles qu’ils pourraient prendre, dans le futur.