(rae) mama can i get another amen?

la voiture est remplie à ras bord de cartons et de valises, rachel bloom enveloppée dans son imperméable jaune est assise à l’avant. la pluie tape contre les fenêtres mais ils sont en sécurité dans l’habitacle. ils doivent changer de maison, on lui a expliqué, et la nouvelle maison de maman n’a pas de chambre pour elle encore, alors elle restera avec papa. aussi, on a demandé à papa de changer de ville, ou c’est papa qui a demandé, elle ne sait plus trop. il lui sourit, la clope au coin de la bouche. maman l’aurait pas laissé l’allumer dans la voiture, mais maman, elle n’est plus là.

elle a raté la plaque à l’entrée de la ville, elle a raté les dunes de sable et le soleil brûlant. elle s’est réveillée au milieu de la nuit tiède, au bruit du disque que son père passait dans le salon. c’était la première fois depuis plusieurs mois que la musique ne servait plus à couvrir les cris.
tout irait bien.

une nouvelle voiture brillait devant le garage à s’en brûler la rétine. la maison sentait la peinture. le nouveau sac de sa belle-mère n’était plus une contrefaçon. les indices s’accumulaient de plus en plus vite : soit la ville de nightvale avait décidé de remercier leurs fidèles gardiens de la paix avec une belle promotion, soit son père avait commencé à accepter des benjamin franklin pour tourner la tête au moment opportun, et rae était malheureusement consciente du manque de talent de son père dans son travail. il n’était pas vraiment mauvais, mais il avait de la marge pour s’améliorer. beaucoup de marge. il lui avait fait le speech sur la drogue et l’alcool, avec un peu trop de précision quant aux personnes qu’elle devait éviter en tournant nerveusement sa nouvelle bague de fiançailles. Elle lui sourit, promis de faire attention, l’embrassa sur la joue et parti rejoindre la moitié des noms qu’il venait de mentionner. c’était pas vraiment le style de la maison d’abandonner ses amis, enfin celui de rae. elle commençait sincèrement à douter de celui de son père mais y avait-il une seule personne que cette ville n’arriverait pas à corrompre ?

avec ses amis, les bouteilles en plastique remplies de mélanges insolites tournent, les clopes et les joints suivent la farandole, et les cachetons s’échangent entre les plus désespérés. tout le monde sait et tout le monde ferme les yeux, ou alors c’est parce qu’elle sait qu’elle ne voit plus qu’eux. mais elle reste immobile sur le capot de sa batmobile, le sourire aux lèvres, elle ne fait que suivre la rythme de la musique. pas de grand discours, pas de grande scène, elle se laisse seulement guider par les paroles presque obscènes. il faut oublier tout ce qu'on voit, douter de tout autour de soi, laisser la honte et la culpabilité de l’impassibilité passer. parce qu’au fond, elle n’a rien fait.


elle s’enfonce dans les profondeurs du matelas, lentement, comme si les ressorts qui lui blessent le dos faisaient enfin leur boulot, comme si l’aiguille de sa montre prenait son temps, qu’avant de toucher le fond ses larmes auront été séché par le vent.
y a la boule dont tout le monde parle qui s’est coincée dans sa gorge. sa poitrine sursaute, elle sanglote, hoquette, l’air se bloque, coincé à l’intérieur de son gosier. les larmes continuent silencieusement à couler le long de ses joues. elle n’a même pas la force de balancer son portable contre un mur, déposé au-dessus de ses poumons, elle sent la gravité qui le pousse, l’enfonce plus profondément au fond de ses entrailles. le poids de l’appel, ces mots qui résonnent dans sa tête. « elle est morte. »

Elle ne se souvient pas du trajet de la maison de son père, à l’appart de son pote, comme un tourne-disque cassé qui joue la même boucle encore, et encore, et encore, elle a juste suivi le même chemin qu’elle a toujours suivi. C’est celui qu’elle a vu plonger au plus profond dans la noirceur de la ville, celui qui compte monter les échelons obscurs pour se retrouver au plus près de la lumière. il l’observe s’étaler sur son lit grinçant pendant qu’il remplit des pochetons de cachetons. les larmes continuent toujours de couler, une à une et sa bouche s’assèche peu à peu. il fait même trop chaud pour pleurer. il ne dit pas grand-chose, c’est pas vraiment un adepte des mots bien que ce soit un homme de parole. elle attend longuement avant d’ouvrir la bouche, puis choisi de parler plutôt qu’avaler un calmant.
« ma mère est morte. » parler irrite sa gorge, sa voix semble sortir d’un gouffre souterrain. il s’arrête au milieu de son mouvement. « merde, désolé. » y a pas grand-chose à ajouter, alors il se tait. « je devais aller la voir tu sais, à l’hôpital. » il hoche la tête, évidement qu’il sait, ça faisait plusieurs semaines qu’elle parlait de finalement se barrer nightvale. elle n’avait rien dit sur sa mère par contre, rien depuis qu’elle avait appris pour le cancer. évidement il avait, comme tous les autres, fait le lien. « c’est quand l’enterrement ? » elle ne répond pas. il l’entend respirer avec difficulté. merde, c’était peut-être pas la question à poser. le silence s’étire encore quelques instants puis elle relève son buste, et s’assoie. le dos collé au mur, elle serre l’unique coussin dans ses bras. « le jour du déménagement. » il hoche la tête lentement. « tu vas y aller comment? » les voitures de son père et de sa belle-mère seront chargés de cartons en direction de leur nouvelle maison, et malgré les revenus parallèles de son père, personne n’a jamais pensé à lui acheter une voiture, elle utilisait les leur en attendant, ou se faisait emmener par ses potes, alors elle ne sait pas. elle hausse les épaules. y a peut-être un bus ou... - « je peux te passer ma caisse tu sais. »



les fenêtres descendues, le vent qui souffle dans la caisse. elle accélère, elle accélère et accélère encore. y a bien un lapin, ou un lézard qui a du s’écraser sous ses roues. elle n’a pas le temps pour la compassion, l’impassibilité. c’est pas sa voiture qui traverse en vitesse les dunes de sables. il faut qu’elle rentre. elle rate encore une fois le panneau de l’enfer qui en trace les limites, factices. il faut qu’elle ramène cette bagnole à son propriétaire, qui, un peu trop téméraire avait oublié il semble de retirer de la boite à gants un paquet d’argent. elle connaît le business dans lequel il traîne, elle connaît les règles qui règnent. il ne s’en sortira pas.
elle arrive dans le sud en sueur, un dérapage, un claquement de porte et elle monte quatre par quatre les escaliers bousillés qui mènent à son appartement. y a plus de verrous, y a même plus de poignet. à l’intérieur de la pièce, tout a été retourné, cassé, déchiré. sur le sol, y a des traces de sang qui glacent celui qui coule dans ses veines. putain. merde. putain. y a bouts de verres au sol, de céramique petit budget, les assiettes et les verres y sont passés. putain putain putain. elle éternue à cause des plumes qui sont sorties du putain d’oreiller.

y a pas de cadavre dans le deux pièces. y a pas non plus ses papiers. y a plus que son mobilier cassé.  il va peut-être rentrer. il va rentrer. il doit rentrer.
rentre, s’il te plaît.
rentre.

sous le soleil brûlant de night vale, les corps des anonymes blessés finissent tous par brûler.