renegades in the ring | azra

comme une enfant elle retrouvé ses vieux patins. parce qu'à seize ans, elle rêvait d'finir dans un match de derby roller. maquillée comme une pouf, mais auréolée d'cette gloire obsolète qui fait vibrer les ados. et puis cole elle sait qu'c'est là qu'ils vont tous. là qu'à la nuit tombée on fait grimper les basses et décorer les pétards. là qu'on se rince le gosier dans de vieilles canettes de bière à partager.
c'est là qu'ils sont tous.
les mômes de son âge.
là que le monde tourne toujours de la même façon. autour de l'anneau de la piste, façon saturne. la paire de roller nouée autour de l'épaule, elle pénètre dans le vieux gymnase, là où la bonne ambiance du soir commence à peine à s'élever. ils sont tous là, ceux qu'elle a laissé en se viandant dans le fossé. ils ont pas l'air d'avoir grandit en deux ans bien tassés. elle file quelques dollars à ce bon vieux revendeur de bières, s'offrant le luxe d'une canette pour elle toute seule. elle fait péter l'arceau de métal et se repaît goulument le palais de la liqueur amère de houblon.
elle sait pas encore trop où poser ses fesses, cherchant un visage connu, une gueule amicale. y'a ce groupe un peu bruyant là haut, qui domine la piste et qui applaudit dès qu'une minette se penche un peu trop, dévoilant le croissant charnu de sa lune.
trop lourd, songe la môme.
mais au milieu de cet amas de testostérone, y'a sa poupée brune. sa bonnie quand elle jouait clyde. son clyde quand elle faisait bonnie.
ses mèches brunes aussi noires que la nuit ne font aucun doute. après deux ans, azra montaigu est toujours aussi canon. cole avale la volée de marches, escalade les gradins avec un empressement de gamine, et finit par se planter un peu en aval, dans la ligne de mire de la montaigu, brandissant ses deux bras vers le ciel.
« montaigu, ramène ton cul ! j’ai niqué hadès et j’suis d’retour d’entre les morts ! » elle braille à l'adresse d'azra, persuadée qu'à partir de maintenant, elle allait récupérer tous les trésors de sa vie d'avant.

Le Nord, rien que l’odeur de ce quartier suffit à lui donner la gerbe. La gamine fait tâche dans le paysage ; elle a beau avoir des traits de poupée en porcelaine et des jambes galbées, elle aura jamais l’air altier de ces connards blindés qui se promènent la tête haute comme si le monde entier leur appartenait. Non Azra elle se traîne avec ses godasses abîmées par le bitume ou par la vie, on ne sait plus très bien. Elle arbore son blouson de cuir délavé par le soleil ardent du désert, et puis si on y regarde bien, on peut peut-être même trouver quelques grains de poussière incrustés entre le serpent et la rose. Elle rase les murs telle une ombre ; et pourtant elle n’en a pas besoin. C’est pas pour cambrioler une de ces villas scandaleuses qu’elle s’est traînée jusque ici ce soir. Ça devient presque trop facile de braquer les blaireaux ; comme s’ils avaient tellement de fric qu’ils se fichaient bien de se donner du mal à le protéger. Au début, ça la faisait triper de déclencher une alarme par mégarde et d’entendre au loin les sirènes des flics, de foutre le camp hors d’haleine, les bras remplis d’or et de perles. C’était les erreurs de novices qui lui procuraient le sursaut d’adrénaline. Et puis à force elle était devenue trop bonne. Ça faisait sourire papa Montaigu et le reste du clan mais ça la plongeait dans un ennui tel qu’elle ne savait plus quoi inventer pour en sortir. Alors ce soir pas de larcin pour elle, elle balance juste ses patins par dessus son épaule et pousse la porte du gymnase. Ça fait un bail qu’elle a pas foutu les pieds ici. Faut dire que c’est devenu subitement moins drôle sans sa partner in crime attitrée. Night Vale, c’est un peu comme sa mère, c’est la ville qui l’a vue naître, qui l’a enveloppée dans son étreinte et lui a fait pousser ses premiers cris. Mais Night Vale, c’est aussi une sacrée belle pourriture. Ça vous prend tellement de gens que vous avez même plus le temps de vous attrister. Ça faisait combien de temps qu’elle avait pas eu une pensée pour son amie interdite de chez les Argentis ? Des semaines que la gamine lui avait pas traversé l’esprit ; et pourtant sur le coup elle l’avait pleurée, dans le silence certes, mais quand même. Les patins aux pieds, elle s’amuse à tourner sur la piste, en solitaire. Azra, elle cherche pas forcément à se mêler à la populace. Y a des gamins prêts à se pisser dessus parce qu’ici on leur vend une canette de bière même s’ils n’ont de loin pas vingt-et-un ans. Y a les filles qui rient un octave trop fort pour attirer le regard doré des gars qui sont occupés sous d’autres jupes. Et puis y a elle au milieu de ce beau monde, qui accélère un peu plus à chaque virage comme si elle voulait tester la limite à pas franchir pour foncer droit dans le mur. Un jour elle se brûlera les ailes. Mais pas ce soir. Épuisée elle ralentit, et grand bien lui en fait car une voix familière la rattrape et elle s’étale le cul parterre. Quand elle relève les yeux, elle ose à peine y croire. Trop belle pour un fantôme, trop pleine de vie pour être morte. « - Argentis c’est pas vrai ! Viens m’aider à me relever au lieu de te pavaner. »